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« What/if » : le premier opus de cette série Netflix a pour gueststars Renée Zellweger et BigPharma

Notre journaliste, qui a longtemps pratiqué les majors de l’industrie pharmaceutique en Europe et aux Etats-Unis, nous raconte le pilote de cette série « thriller neo-noir » en se focalisan strictement sur l’un de ses personnages centraux, « Big Pharma »

Personne ne vous racontera cette série sous l’angle que je vais aborder. Une bonne raison de se lancer, les points de vue originaux étant inscrits dans l’ADN de la ligne éditoriale de la rédaction. J’ai regardé la mini-série pilote de ce projet entamé en 2019, soit pour l’histoire dont on parle, une dizaine d’heures sans temps mort découpées en 10 épisodes. L’idée de la série, ce sont des histoires et donc des castings totalement indépendants à chaque fois, sur le questionnement suivant : jusqu’où des personnes sont-elles prêtes à aller pour parvenir à leurs fins ?

Dans l’histoire inaugurale, une scientifique qui a créé une start-up de biotechnologie est au bord de la faillite, elle recherche désespérément des financeurs pour pouvoir continuer son projet. À l’occasion d’une rencontre de son mari avec une mystérieuse investisseuse, cette dernière propose au couple un « deal » : sauver la start-up et la mettre sur la voie du succès avec un investissement massif. En échange, le mari devra accepter de passer une nuit avec elle.

« Quoi qu’il en coûte »

Cette formule évoque immédiatement notre président Emmanuel Macron déclarant la guerre au Covid-19 en 2020. Ce leitmotiv est également posé dans la scène introductive de la série pilote, avec après une vue nocturne plongeante sur le Golden Gate Bridge de San Francisco qui nous indique le lieu de l’intrigue, un monologue digne d’une tragédie grecque proférée par une femme – dont on ignore alors tout – incarnée par Renée Zellweger (Bridget Jones’s Diary) : hargne et colère sont à peine contenues pour déclarer que rien n’est hasard, tout est prédéterminé, nous sommes soumis à une destinée, et que pour réussir, arriver à ses fins, il faut faire des sacrifices et accepter des choix difficile, prendre des risques, et ne pas se soumettre aux limitations définies par la société (amour, mariage, enfants,…) et par dessus-tout à « l’agenda moral » de certains. Sacrifice est clairement le maître-mot et le monologue se termine avec la femme qui écrit rageusement son alibi : « Quoi qu’il en coûte » (At any cost).

Un mauvais film des années 90

Le but de cet article n’est pas de vous raconter l’histoire de ce « deal » : un jeune couple uni, les histoires parallèles de leurs amis, les motivations de la mystérieuse investisseuse et comment et pourquoi elle met son plan en œuvre.

Cet article n’est pas une critique, on ne donnera aucun avis sur l’intrigue et le jeu des personnages, ce n’est pas le but. Mais sachez que dans la série elle-même, le couple évoque l’ineptie de la proposition qui leur est faite par l’investisseuse, trouvant que cela ressemble à un mauvais film des années 90 et effectivement, il y a de l' »Indecent proposal » (d’Adryan Lyne avec Robert Redford et Demi Moore) dans ce scénario.

On va donc s’intéresser à l’histoire de la biotech qu’il faut sauver en toile de fond, qui n’est qu’un prétexte à l’intrigue.

BigPharma conforme à l’imaginaire collectif

L’industrie pharmaceutique est très lucrative et exploite les gens malades pour s’enrichir. Grâce à son lobbying, elle corrompt tout le monde : les autorités sanitaires, les professionnels de santé, voire les associations de patients. Cette image est très ancrée en Europe et particulièrement en France, moins aux États-Unis. Mais on va voir que les ficelles de l’histoire en lien avec cette industrie ne dépareillent pas avec cette vision.

Lisa est une jeune scientifique fondatrice EMIGEN Molecular Sequencing, une biotech de « solutions médicales », elle recherche donc un investisseur pour sauver son entreprise en difficulté pour laquelle elle et son mari se sont endettés personnellement.
Dans une première réunion de présentation à un riche investisseur, elle présente objectivement son projet. L’investisseur n’est pas emballé, et sa collaboratrice la proche, également son amie lui dit qu’il serait peut-être temps d’approcher les laboratoires pharmaceutiques : eux ont de l’argent. Lisa s’y oppose fermement, car selon elle une telle firme sauverait Emigen dans le seul but de s’approprier ses actifs puis la « tuer« .
La collaboratrice lui propose dans ce cas de changer son « pitch » : introduire la dimension émotionnelle en parlant surtout des patients. En effet, Lisa s’est lancée dans son projet d’entreprise car elle a été touchée personnellement par le cancer (leucémie) fatal de sa petite sœur lors de l’enfance.
Dans une deuxième réunion d’investisseurs, elle va présenter son histoire, et même des extraits de films familiaux avec les enfants et sa sœur mourante. Elle explique, parfois au bord des larmes, sa vocation, et pourquoi tant de patients qui pourraient bénéficier du travail de sa société.

Pour le contexte, il faut savoir que Lisa est la principale gentille de la série : oui elle est « dans la pharma » mais la petite bien intentionnée, par la grosse croqueuse d’agneaux qu’est la grosse BigPharma.

L’activité scientifique d’Emigen

Au cours de ce second « pitch » très « émotionnel », on en apprend plus sur la Recherche & Développement de la biotech : c’est d’ailleurs dan le nom de la société avec « molecular sequencing« , il s’agit de séquencer l’ADN, à savoir déterminer la composition et l’enchaînement exact en nucléotides de morceaux (séquences) d’ADN, la substance qui compose les gènes. On apprend que la soeur de Lisa était atteinte de leucémie lymphoïde aiguë, un cancer curable (pour 40 à 50 % des cas). Lisa explique que le « protocole du médicament a été conçu pour combattre cette maladie et a fourni un taux de survie de 90 %« . Mais en raison de « déviations génétiques », leur « point de contrôle immunitaire » rend le traitement inefficace. Bon, il y a de l’idée : Lisa explique que certaines différences ou mutations génétiques font que des médicaments contre le cancer ne fonctionnent pas chez les personnes concernées. C’est tout à fait vrai. Elle explique que sa société veut mettre au point des tests génétiques permettant une carte d’identité génétique pertinente pour que les laboratoires puissent fabriquer des médicaments ciblés pour chaque patient en fonction de cette carte d’identité génétique. Pertinent, on fait déjà de tels médicaments personnalisés pour le cancer.

Et on comprend mieux aussi la crainte de Lisa que des labos ne veuillent « tuer » sa société en l’absorbant pour intégrer les activités du séquençage au médicament personnalisé, tant qu’à faire.

Lisa finit son exposé face au second investisseur en expliquant que grâce à Emigen, tous les patients pourront bénéficier d’un médicament efficace pas uniquement « ceux qui ont de la chance » (d’avoir une carte génétique permettant une bonne réponse au médicament non personnalisé).

L’investisseur déclare qu’il aimerait beaucoup investir, mais qu’il pense que BigPharma va mener l’entreprise au tribunal avant même qu’ils aient le temps de réaliser. Un discours qui appuie à nouveau son image de grand méchant loup, d’autant que là c’est un investisseur spécialisé tech qui le dit.

Deal à 80 millions de dollars

La proposition indécente de l’investisseuse, Ann, que nous avons vu en scène introductive a lieu, qui est acceptée par Lisa et son mari pour sauver Emigen. Elle s’engage à investir 80 M pour optimiser les recherches de Lisa et sur la base d’une preuve de concept (« proof of concept« , ou POC). C’est effectivement une étape sine qua non pour passer à l’étape supérieur de développement et d’investissements pour une start-up, c’est une étape qui valide un projet grâce à une démonstration suffisante pour avoir confiance en la validité de l’initiative.

Une fois le contrat signé, et le versement initial fait (20 M), Ann organise une réunion-gardent party fastueuse dans une propriété privée située dans les collines viticoles et explique à Lisa qu’elle va y rencontrer son nouveau conseil d’administration, qu’elle a sélectionné et réuni « les meilleurs bioéthiciens, virtuoses du codage (code wizards), experts des données et chimistes pharmaceutiques de la côte ». La sélection d’expertises peut paraître bien sélective et ne couvre certainement pas toutes les compétences (ex. biologie, immuno-oncologie génétique mais aussi développeurs et juristes, entre autres) mais on voit que les scénaristes ont tenté de se renseigner sur le « milieu ».

Lisa rétorque que son équipe est déjà formée et qu’elle n’a pas besoin de la changer. Ann répond que l’équipe est de seconde zone (« farm league« ) et qu’il faut passer à la vitesse supérieure car Emigen entre « dans la cour des grands« . Et il faut commencer à faire du « buzz« .

Un peu plus tard, celui qui deviendra le directeur financier de Lisa/Emigen lui confie : « Il y a au moins 200 années cumulées de doctorat ici ce soir ». Et il reparle de bioéthiciens, mais aussi cette fois-ci de responsables communication et d’analystes juridiques.

Ann et Lisa s’entendent pour choisir le directeur général, qui est un jeune qui était déjà présent à son « pitch » émotionnel quelques jours plus tôt. Ravi, il confie : « La première fois que j’ai vu Lisa, j’ai pu voir sa vision extraordinaire pour « changer le futur de la médecine« . » Concernant le fonctionnement, il demande à avoir des « lignes de communication directe avec la cheffe et les investisseurs« . Donc Lisa et Anna.

Quelques invraisemblances techniques et la FDA dare-dare sur le coup !

Ann annonce très vite une bonne nouvelle : la FDA a approuvé le démarrage d’études de phase 2, c’est-à-dire les premières études chez des patients d’un médicament expérimental. Cela signifie que la phase I, qui évalue la sécurité d’emploi et la tolérance chez l’humain, a été passée avec succès.
Il y a deux choses étranges ici : Emigen est une biotech de séquençage d’ADN qui vise à proposer des tests génétiques aux laboratoires pharmaceutiques, qui eux, pourront adapter leurs médicaments aux patients de manière individualisée. Emigen n’est pas développeur de médicaments ni dotée de R&D clinique. Elle ne peut pas avoir fait de phase 1, elle fait du séquençage, ne fabrique pas de médicaments à partir de ses tests puisqu’elle n’est pas intégrée ou associée à un laboratoire. Lisa ne veut pas s’associer de peur d’être engloutie par un labo.
Ou alors, la biotech sous-traite cette activité à un laboratoire promoteur d’études cliniques et dans ce cas, et cela c’est passé en 48 h à en croire la chronologie de la fiction.

Ensuite, entre le dépôt d’une demande d’autorisation d’essais cliniques pour passer chez les patients, ça ne prend pas 48h non plus. Et puis, Ann fait clairement comprendre qu’elle dispose d’une information privilégiée non officielle sur cette autorisation des autorités sanitaires : « l’information est venue jusqu’à moi » explique-t-elle. Pas très réglo tout cela, et cela évoque des connivences non officielles peu reluisantes.

Plus tard, une fois l’autorisation officielle obtenue Lisa va dévoiler des informations sur ce développement clinique, expliquant qu’en phase on espérait que les patients de l’haplogroupe B atteints de leucémie myéloïde aiguë avec présentant des récepteurs immunitaires bloquants répondraient favorablement aux médicaments modifiés dans le cadre des protocoles de façon statistiquement significative. Et bien c’est technique ! Lisa poursuit : « Ce que montre en fait les résultats, c’est que le traitements personnalisés d’Emigen ont permis une efficacité chez 100 % de nos patients d’étude qui n’étaient pas sous placebo dans l’haplogroupe B« . Impressionnant, 100 % d’efficacité ! Pas très réaliste. Tout comme l’usage d’un placebo, car dans le cancer pour des raisons éthiques on traite les patients qui ne reçoivent pas le médicament expérimental pour un médicament standard dit  » de référence », tant pis pour la supériorité méthodologique des études avec placebo.

Conclusion : les traitements d’Emigen doivent aider tous les malades. Conclusion : « Avec un positionnement adapté, Emigen va révolutionner l’industrie médicale« .

Entente peu orthodoxe entre investisseurs…

Anne avait prévenu : il fa falloir faire du buzz pour lancer la biotech. Elle a un stratagème : le simulacre d’une plainte contre elle par un investisseur de son réseau. Il s’agit de celui à qui Lisa avec fait son « pitch » émotionnel avant qu’elle ne signe avec Ann. Cette dernière demande à l’homme d’affaires de déposer plainte contre elle pour « ingérence délictuelle ». Il faut qu’il fasse une intervention médiatique dans laquelle il raconte qu’Ann a violé son option contractuelle exclusive pour financer une biotech qui est une start-up promise à grand succès. Il y aurait eu rupture d’accord de confidentialité pour s’approprier Emigen. En pratique, l’investisseur se fait interviewer par téléphone par une journaliste d’une grande chaîne nationale, en direct du journal….et de chez Lisa, qui est à proximité et lui donne même des conseils pendant l’entretien : bien prononcer le nom complet de la société : Emigen Molecular Sequencing et celui de Lisa.

Suite à cette déclaration publique machiavélique, Lisa est informée par téléphone de la plainte et d’une somme astronomique demandée par l’investisseur soi-disant lésé, elle se rends chez Anne qui l’a convoquée, et se retrouve nez à nez avec Ann et l’investisseur, complices et tout sourire. Ann explique rapidement les choses : c’est un coup monté pour mettre Emigen « sur les feux de la rampe et créer une demande publique« .

…la FDA manipulée !

L’autorité sanitaire américaine est-elle fiable, sérieuse, incorruptible, agissant uniquement sur les données de la science, sans aucune politique ? Assurément non si on voit le résultat du stratagème d’Ann, qui annonce fièrement que cela a permis d’optimiser la mise en lumière avec « l’obtention d’un panel FDA pour obtenir un fast-track pour une mise sur le marché dans les plus brefs délais« . Un « fast-track » est une procédure accélérée d’examen d’un dossier de demande de mise sur le marché pour une commercialisation plus rapide que le long processus normal d’évaluation. Cette partie du scénario est complètement irréaliste mais assurément complotiste : un peu de publicité pour le grand public sur la base d’un faux conflit entre investisseurs suffirait à déclencher l’affolement à la FDA ? Certainement pas – ce genre d’accélération est basé sur des considérations scientifiques et de santé publique – et doit être justifié. Et ça prend du temps. Et la publicité « je créee une demande publique » est quand même bien à côté de la plaque, sans base médicale.

Tant qu’à faire, autant aller jusqu’au bout : quand Lisa lui demande quand cette réunion pour décider de la procédure « fast-track » se décidera, Ann répond qu’elle est en cours. Carrément. Et pense que ce sera pour la semaine prochaine. Ann est dans les petits papiers de la FDA. On a appris antérieurement que la pharma/biotech n’était pas du tous dans ses domaines d’investissement, mais à l’évidence, elle apprend vite le lobbying pour un nouveau secteur…

Ann présente le « plan tactique » d’ici là : Lisa doit envahir les médias en tant que PDG et responsable scientifique d’Emigen. Elle devra parler de la plainte en expliquant que c’est la conséquence des formidables résultats des essais cliniques, ses découvertes vont sauver des millions de vies. Voilà pourquoi l’investisseur fait tout pour récupérer Emigen grâce à cette action en justice.

Pas de surprise, dans la foulée de cette réunion FDA précipitée, le fast-track est approuvé. Apparemment, Ann était sur place et en informe Lisa par téléphone au retour. Elle explique que Lisa est devenue une sorte de Robin des Bois du monde biomédical.

Dans une interview, une journaliste interroge Lisa au summum de la gloire, évoquant sa technique de cartographie immunitaire qui bouleverse l’univers médical et pharmaceutique « comme un tremblement de terre ». On apprend qu’Emigen est devenu une structure à but non lucratif après que la société ait été sauvée de la banqueroute par Ann. et tenez-vous bien, l’investisseuse-sauveteuse aurait fait finalement d’Emigen une structure essentielle de lutte contre l’industrie pharmaceutique. Au cas où quelqu’un aurait encore un doute sur l’image de « méchante » de Big Pharma, qui ne pense qu’à faire de l’argent.

Bilan comportemental

Il y a une petite conclusion et une morale à cette histoire concernant Ann/Renée Zellweger qui tire les ficelles de cette histoire . Mais avec cet article vous n’avez qu’une vue très partielle de ces actions et rien concernant ses motivations. On nous explique à la fin qu’Ann pensait que si quelqu’un la trahissait, alors tout le monde la trahirait. Une bonne dose de paranoïa ? Et aussi qu’elle reniait toute donnée qui ne validait pas ses croyances. Et qu’au final elle a été piégée par celles-ci.

Alors, aurez-vous envie de regarder cette série ? C’est à vos risques et périls.

Pour aller plus loin

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