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Climatoscope du CNRS : les nouveaux fronts du dénialisme et du climato-scepticisme

Il s’agit d’une étude de deux années d’échanges Twitter sur la thématique du changement climatique passés au crible de l’Institut des systèmes complexes de Paris Île-de-France. Résumé exécutif et quelques points d’illustration d’une certaine Twittosphère

Le rapport est paru le 13 février, les auteurs du CNRS sont David Chavalarias, Paul Bouchaud, Victor Chomel et Maziyar Panahi.

Le Climatoscope

Il s’agit d’un outil automatisé, constituant un observatoire mondial de « l’infosphère » du réseau social Twitter sur le changement climatique. L’outil analyse automatiquement des millions de tweets. Le CNRS met en garde : les utilisateurs de Twitter ne sont pas un échantillon représentatif des Français.

Glossaire CNRS

Les personnes qui rejettent les principales conclusions des rapports du GIEC (reflétant l’état des connaissances issues des sciences du climat et du changement climatique) et de la science du climat – sont communément appelées “climato-sceptiques”. On les appelle également “dénialistes climatiques” ou simplement “dénialistes”. Ceci pour souligner qu’il ne s’agit pas de dire qu’un fait établi scientifiquement est nécessairement incontestable, mais que les faits les plus légitimes pour prendre les décisions futures sont ceux qui sont rigoureusement établis par les scientifiques sur la base de l’état actuel des connaissances et de la compréhension liées au système terrestre. Les « pro-sciences du climat”, ou pour faire court “pro-climat” sont les personnes qui acceptent les résultats de la communauté scientifique et les synthèses qu’en fait le GIEC. Enfin, les expressions “réchauffement climatique” et “changement climatique” sont utilisées indifféremment, la dernière étant néanmoins jugée plus précise quant aux conséquences à attendre des transformations en cours au sein du système terrestre.

Résumé exécutif des auteurs de l’étude

Dès 1912, certains ont mis en garde contre les effets d’émissions massive de CO 2 dans l’atmosphère par la nouvelle ère industrielle. Dès la fin des années 1970, les études internes des industries fossiles ont établit des projections précises liant le réchauffement de la planète aux émissions de CO 2 , prédisant à la même occasion des “effets environnementaux dramatiques à venir avant l’année 2050”. Pendant ce temps, ces mêmes entreprises, et en particulier ExxonMobil, ont tenté de convaincre le public qu’il était impossible d’établir un lien de causalité entre l’utilisation de combustibles fossiles et le  réchauffement climatique  parce que les modèles utilisés pour modéliser la réponse du climat étaient trop incertains.

Des mises en garde dès 1912

Depuis les années 1970, les avancées des sciences du climat n’ont cessé de dresser un constat de plus en plus clair sur la réalité du réchauffement climatique (voir le rapport du groupe I du GIEC, chapitre 1), tandis que le rapport du GIEC de 2021 indique qu’“il est sans équivoque que l’influence humaine a réchauffé l’atmosphère, l’océan et les terres”.

Alors le réchauffement climatique s’intensifie dans chaque région du monde (l’année 2022 étant emblématique) et que ses impacts s’aggravent, cette décennie est critique pour engager résolument une baisse des émissions de gaz à effet de serre. Malgré cela, nous assistons à une intensification de l’activité de groupes dénialistes et climato-sceptiques en ligne et à une révision à la hausse des objectifs d’émission de la plupart des majors pétrolières qui
viennent pourtant d’annoncer des bénéfices annuels record (ex. BP).

En France, l’intensification du militantisme dénialiste a été particulièrement marquée depuis juillet 2022 avec une triple actualité climatique : une série d’événements extrêmes, la tenue de la COP27 avec un poids fort des industries fossiles, et enfin la convergence des les enjeux du réchauffement climatique et avec ceux de la sécurité d’approvisionnement en pétrole et en gaz du fait de la guerre en Ukraine.

Cette étude décrit certaines des stratégies mises en œuvre par les militants climatosceptiques et dénialistes sur Twitter, quantifie leurs effets et met en avant de potentielles motivations géopolitiques. Il s’appuie sur les méthodologies développées au CNRS au CAMS et à l’Institut des Systèmes Complexes de Paris

Au-delà du “fact-checking”, cette étude vise à une meilleure compréhension de la circulation des différents narratifs liés au changement climatique et en particulier ceux relevant de la désinformation.

Cartographie des enjeux du changement climatique mis en évidence par 30 000 articles scientifiques – CNRS

En voici les principaux résultats et conclusions :

Au niveau mondial

Le débat mondial sur le changement climatique sur Twitter est fortement bipolarisé avec environ 30 % de climato-dénialistes parmi les comptes Twitter qui abordent les questions climatiques
La pandémie de COVID-19 a détourné l’opinion publique des questions relatives au changement climatique pendant plusieurs mois.

Twittosphère climatique mondiale de l’automne 2022 – CNRS


Les experts du GIEC et des communautés pro-climat concentrent leurs prises de parole sur leurs domaines d’expertise alors que la communauté dénialiste présente des formes inauthentiques d’expertises : un noyau dur de comptes qui s’expriment sur une multitude de sujets, concentrent une présumée expertise et fabriquent la majorité des narratifs en circulation. Certains sujets de prédilection des dénialistes révèlent une planification de mise à l’agenda public décorrélée de l’actualité

Les échanges sur les questions liées au sur le changement climatique sont très largement organisés autours d’interactions entre humains. Cependant La proportion de comptes Twitter aux comportements inauthentiques dans les échanges connaît une forte augmentation depuis 2019 à l’échelle mondiale, pointant vers de possibles opérations d’astroturfing.

La communauté dénialiste comporte une surreprésentation de comptes aux comportements inauthentiques de + 71 % par rapport aux communautés pro-climat, avec 6 % de comptes “probablement bot’.

Évolution de l’importance des différentes communautés de militantisme climatique en fonction du temps et de l’actualité (Oct. 2019 – Juin 2020). Source CNRS

Pour la France

Une importante communauté dénialiste française s’est structurée à l’été 2022 sur Twitter.

Twittosphère climatique française à l’automne 2022 – CNRS
Cœur du réseau de circulation d’information entre dénialistes U.S. et dénialistes Français (réseau dense des seconds voisins de Elpis_R)



Une plus forte portion de comptes “probablement bots” : la proportion de comptes authentiques au sein de la communauté dénialiste française est 2,8 fois supérieure à celle de la communauté française du GIEC. La proportion de comptes suspendus par Twitter est quant à elle dix fois supérieure.

La communauté dénialiste produit ou relaie 3,5 fois plus de messages toxiques que la communauté GIEC.

Le principal influenceur de la communauté dénialiste française est nouvellement acquis à cette cause après avoir été antivax. La transition s’est faite au moment de l’invasion de l’Ukraine et il a un temps relayé la propagande pro-Poutine.

Mise à part une proportion non négligeable de comptes impliqués dans la sphère informationnelle de Reconquête !, la communauté dénialiste n’est pas composée a priori de militants politiques relevant des partis traditionnels (LFI, PS, EELV, Renaissance, LR ou RN).

La communauté dénialiste sur Twitter est composée majoritairement de comptes ayant participé à de nombreuses campagnes de contestation antisystème/antivax pendant la pandémie. De plus, sur 10 000 comptes, près de 6000 ont relayé la propagande du Kremlin sur la guerre en Ukraine.

La question de la lutte contre le réchauffement climatique et les caractéristiques des militants dénialistes font de cet enjeu sociétal un terrain particulièrement favorable à des opérations d’ingérence étrangère de type subversion.

Une analyse de causalité montre que sur le moyen terme, la publication des synthèses du GIEC mènent le débat sur Twitter autour des questions climatiques.

Les discours sur Twitter des communautés dénialistes et technosolutionnistes freinent probablement la dissémination des connaissances scientifiques et des conclusions du GIEC en agissant de manière négative sur l’activité en ligne des scientifiques des sciences du climat et du changement climatique.

Astroturfing à la Française

Nombre quotidien de comptes Twitter actifs appartenant aux communautés “GIEC”, “dénialistes”, “technosolutionistes”, “pro-climat” – CNRS
Proportion de comptes aux comportements inauthentiques (bots ?) par communauté – CNRS

Un dénialisme pas de chez nous

L’analyse de l’activité du compte Elpis_R par le CNRS est très instructive. La voici :

Pour comprendre l’origine de cette poussée de dénialisme à la française, nous pouvons nous concentrer sur les comptes les plus actifs de cette nouvelle communauté. La théorie des graphes propose plusieurs indicateurs permettant de mesurer l’influence d’un compte, tels que le PageRank (inventé par Google pour son moteur de recherche) ou la eigenvector centraliy.

Quelque soit l’indicateur considéré, le compte Twitter Elpis_R (17,8k abonnés), dont l’activité sur Twitter a plus que doublé depuis cet été, apparaît de loin comme le plus influent de cette communauté. Quel est le profil de ce compte ? Commençons par préciser qu’il est anonyme, dispose d’une image de profil récupérée depuis une banque d’images, et se définit comme « Climate Science Research (Independent) – Climate Realist – Alarmists Ignore The Geological Climate Record. » (oui, il se décrit en anglais avec des éléments de langage empruntés aux dénialistes américains, mais produit la majorité de ses tweets en français …).

En reconstituant le réseaux d’interactions de Elpis_R à partir des données mondiales du climatoscope, il apparaît que ce comptes ert de passerelle (entre l’espace informationnel français et la communauté des influenceurs anglo-saxons “experts” en climatologie (cf. plus haut). Si cela n’est cependant pas suffisant pour lui attribuer une quelconque origine géographique, cela pointe néanmoins une convergence d’intérêts à un niveau international dans la désinformation climatique, comme cela a déjà été documenté sur d’autres sujets tels que le COVID-19.

Pour défendre son point de vue, le compte Elpis_R développe une rhétorique dite des « 5D » particulièrement appréciée des opérations de subversion : Discrédit (“si vous n’aimez pas ce que vos critiques disent, insultez-les”), Déformation (“si vous n’aimez pas les faits, déformez-les”), Distraction (“si vous êtes accusé de quelque chose, accusez quelqu’un d’autre de la même chose”), Dissuasion (“si vous n’aimez pas ce que quelqu’un d’autre prépare, essayez de lui faire peur”), Division “si vos adversaires sont trop forts, divisez-les”. Il la complète par un sixième « D » qui est peut-être le plus important pour favoriser l’inaction climatique : le Doute

Exemples de messages d’Elpis_R – CNRS

Ces techniques de subversion 5D sont très largement utilisés par les clans sectarisés/organisés pour dénigrer leurs opposants sur les réseaux sociaux, quel que soit le bord.

Mise à jour 16/02/2023 – ajout phrase de conclusion + modification de la sélection « Pour aller plus loin »

Pour aller plus loin

Mise à jour 16/02/2023

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2 réflexions sur “Climatoscope du CNRS : les nouveaux fronts du dénialisme et du climato-scepticisme

  • Frtédéric Livet

    Physicien au CNRS, il me semble que cette étude reflète plutôt les a-prioris idéologiques de ses auteurs qu’une démarche scientifique. Pourquoi en effet vouloir créer la catégorie arbitraire des « technisolutionnistes », qui sont si je comprends bien ceux qui font confiance dans la technique pour résoudre ou atténuer le problème climatique? Et pourquoi en plus les accuser de « [freiner] probablement la dissémination des connaissances scientifiques « .

    Etant Phsicien et ingénieur, j’ai rapidement pris conscience de l’importance du problème, et de l’urgence de lui apporter des remèdes que permet le progrès des sciences et des techniques. J’ai donc été amené à combattre les militants qui voulaient en France fermer les centrales nucléaires. C’est sans doute cela qui fait que les idéologues comme ces collègues des sciences huamaines du CNRS me combattront, plutôt que de lutter conter la réchauffement, en me taxant de l’épithète de « scientiste ».

    Personnellement, j’ai participé en 2005 à la fondation de l’association « sauvons le climat » qui a essayé de réfléchir aux meilleurs axes d’investissement pour atténuer le réchauffement. Ayant pris conscience que nous disposions d’une électricité essentiellement décarbonée, J’ai alors multiplié les conférences pour promouvoir l’électrification des transports et de développement de la voiture électrique, pour que nous comblions notre retard abyssal dans les batteries, pour promouvoir le chauffage électrique par pompes à chaleur..

    Les auteurs de cette « étude » me semblent plutôt proches de ce réseau action climat (RAC) qui fédère des associations antinucléaires qui se moquent visiblement bien du climat et qui demande la fermeture de nos centrales. Ils illustrent ce que, scientifique, je dénonce: le glissement des certains éléments du CNRS vers une attitude anti-science et vers une idéologie mortifère. On en voit les effets catastrophiques quand des sociologues du CNRS (parfois retraités, certes) se lancent dans la campagne aniti-vaccination, au nom de la dénonciation des « dominateurs » qui essaieraient d’imposer des vaccins au petit peuple.

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    • Frederic Livet a mal compris la façon dont ce type d’étude de propagation d’information se fait. Ce qui fait rentrer dans la case de « techno-solutioniste », ce n’est pas un avis subjectif de chercheur sur les argumentaires émis par le compte mais la reprise d’une fausse information issu d’un compte de propagande par une même communauté. Le groupe de comptes que le chercheur a nommé comme cela ce sont des comptes de réseau sociaux qui vont opérer un filtre pour ne pas diffuser la propagande issue des communautés climato-dénialistes qui remettent en cause l’existence du changement climatique mais qui par contre vont être des relais de propagande et de désinformation sur l’ensemble des fake news visant des solutions au changement climatique qui ne sont pas l’énergie nucléaire (typiquement l’énergie renouvelable).

      Plutôt que de venir défendre un point de vue complotiste sur un soit-disant agenda politique secret des auteurs de l’étude, il ferait mieux de se poser la question de comment mettre en place des moyens de se protéger de cette désinformation et de mobiliser sa communauté pour arrêter d’être un relais de propagande d’une puissance étrangère hostile.

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