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Expertise & Experts – Épisode 2 – Confusion entre expert et chercheur

Elle est omniprésente sur les réseaux sociaux et tend à induire le public en erreur

Retrouvez l’épisode inaugural de cette série Expertise & Experts

Détournons ces propos du célèbre Einstein qui évoquait ici le processus expérimental pour former la connaissance, afin de l’appliquer à notre sujet : Si l’expertise consiste à maîtriser un domaine de connaissances, n’est-ce pas l’expérience de ce domaine qui la définit ?

Qu’est ce qu’un expert ?

Définitions du dictionnaire Larousse

La pratique et l’expérience du domaine considéré sont déterminantes.
Il n’y a pas ici la notion de faire évoluer les limites de la connaissance de ce domaine : il est nécessaire et suffisant d’en avoir une connaissance experte, approfondie.
L’expertise peut-être un métier : « expert-comptable », « expert-géomètre » (professions réglementées), un expert dans un domaine peut en faire son métier en proposant des services d’expertise ou de conseil, par exemple : consultant en développement clinique et affaires réglementaires, conseil en développement phamaceutique.

Autre volet : l’expert judiciaire, auprès de tribunaux : expert pharmacologue, expert en propriété intellectuelle,… attention : ces experts sont des auxiliaires de justice qui l’exercent sur une base volontaire comme activité annexe, ce n’est pas jamais leur métier. Mais c’est une activité réglementée.

On sollicite un expert pour son expertise approfondie, pour recueillir ses éclairages, avis, analyses, appréciations dans le ou les domaines de connaissances qu’il maîtrise de façon experte.

Exemple d’une expertise à la mode actuellement sur les réseaux sociaux : la biostatistique
La biostatistique est très spécifique et on n’est pas expert en biostatistique parce qu’on est bon en maths – volet statistiques, voire statisticien dans une société d’études de marché, à titre d’exemple.
Le « bio », soit le vivant, fait une extrême différence en termes d’outils et de méthodologies utilisées pour la conception et le traitement des données issues d’études cliniques (ou précliniques d’ailleurs).

Qu’est-ce qu’un chercheur ?

Source : Wikipédia

Le chercheur se consacre à la recherche scientifique. Son travail contribue au développement du corpus des connaissances scientifiques. C’est un métier. Mieux vaut insister, car on mélange souvent allègrement qualifications et métiers, et cela contribue à la confusion entre expert et chercheur.

La définition Wikipédia met en avant la multiplicité des domaines de recherche qui ont chacun leurs spécificités.
C’est pourquoi nous insistons souvent sur le fait qu’être expert ou chercheur dans un domaine ne nous rend pas expert (et encore moins chercheur) dans l’autre, en insistant particulièrement sur les domaines des sciences de la vie et de la santé qui utilisent des principes et méthodologies très spécifiques liés au « vivant ».

Source : Wikipédia

Le travail de recherche produit de la création scientifique.

La création scientifique a été définie par le comité d’éthique (Comets) du CNRS comme « le fait de développer de manière originale des idées, des méthodes ou des dispositifs, d’effectuer de nouvelles observations, de produire des résultats nouveaux ou inattendus, ou bien de contribuer à définir ou réorganiser un champ de recherches« .

Le fruit de la création scientifique, les résultats des recherches, font l’objet de publications scientifiques.

Ainsi, pour apprécier le travail et la qualité d’un chercheur, on va naturellement regarder ses publications scientifiques.

Et c’est là qu’intervient une notion quantitative d’index, comme le H-index qui permet d’apprécier la quantité et et le nombre de citations des publications scientifiques d’un chercheur. C’est en quelque sorte une mesure d’impact du travail du chercheur.
Avoir un index ouvre professionnellement des perspectives et des opportunités de décrocher des budgets pour de futures recherches
On peut donc comprendre que dans l’univers des chercheurs, cet index est important, comme le serait le classement d’un joueur de tennis à l’ATP par exemple. Il peut générer un esprit de compétition dans la communauté des chercheurs, une « course à l’index », bien compréhensible.

Faut-il être expert pour être chercheur ?

Il paraît légitime de se revendiquer expert dans son champ de recherches puisqu’on « cherche » à développer les connaissances dans ce champ.

Pour un domaine scientifique donné, on peut comparer son index à celui d’un autre chercheur, pour comparer ces expertises.
Mais le H-index ne tient pas compte du domaine de recherche, parfois très pointu, donc on risque de comparer des choux et des carottes, d’autant que les champs de recherche sont parfois extrêmement spécifiques et pointus.

Exemples de la vie réelle :

Si je suis microbiologiste et que j’ai découvert plein de microbes objet de multiples publications très consultées, j’ai un gros index. J’ai une expertise sur les microbes, en tout cas ceux que j’ai découvert. Mais cela ne veut pas dire que je suis un expert en recherche clinique et je ne brandis pas mon gros H-INDEX pour faire taire les contradicteurs qui critiquent mes essais cliniques non conformes. Je ne le brandis pas non plus face à un expert en recherche clinique qui n’est pas chercheur en lui disant : « Tu n’a pas de publications et je ne te trouve même pas sur Google Scholar comme co-auteur d’articles scientifiques, donc tu peux aller te rhabiller, l’expert c’est MOI. »

M. Mélenchon criant « La République c’est moi » lors d’une perquisition filmée

Autre point de confusion possible du public sur l’expertise d’un chercheur

Il convient de s’attacher le domaine de la publication (contenu) et non celui du journal scientifique (contenant)

Si je suis astronome et que je publie avec des collègues scientifiques une tribune ou un article dans le British MEDICAL Journal qui parle des effets délétères de la désinformation sur la confiance en la science (excellent sujet !), cela ne fera pas de moi un expert MÉDICAL.
Corollaire : Si l’astronome a publié cette tribune ou article avec un confrère médecin dans une revue d’astronomie, cela ne fera pas non plus du médecin un expert en astronomie.

Faut-il être chercheur pour être expert ?

L’expertise est la connaissance approfondie d’un domaine, ce n’est pas contribuer à faire évoluer le corpus de connaissances du domaine en question (chercheur)

Donc non, l’expertise ne requiert en aucun cas d’être chercheur ou de l’avoir été.

En outre : de très nombreuses personnes travaillent dans le domaine de la recherche, et ne publient ni ne signent aucune publication. C’est notamment le cas dans le privé avec, à titre d’exemple, des armés d’attachés de recherche qui consacrent leur vie à mener des études et sans qui ces recherches n’auraient pas lieu.

Vous comprendrez donc que le critère « chercheur » pour rechercher l’expertise est complètement galvaudé – et malheureusement parfois détourné – pour soit se mettre en avant, soit dénigrer des personnes méritantes.

Le danger d’une confusion entretenue sur les réseaux sociaux

Pour ce qui est de la crise sanitaire, c’est l’IHU et son Pr Raoult qui a donné le coût d’envoi de cette confusion auprès du public. Tout le monde a compris que c’est lui que nous évoquions avec notre exemple ci-dessus du microbiologiste qui revendique une expertise avec son H-Index énorme tout en mitraillant et dénigrant non seulement les porteurs de H-index plus petits que le sien, mais aussi toutes les experts qui ne publient pas dans des revues scientifiques.

Cette rhétorique, qui finalement s’apparente à un argument d’autorité qui peut cacher la non expertise, a été dénoncée largement et a prouvé combien elle était dangereuse avec l’histoire de l’IHU de Marseille.

Pourtant, sur les réseaux sociaux circule dans certaines sphères la légende que le chercheur est en quelque sorte « l’élite », la référence à laquelle il faut tendre pour revendiquer de l’expertise, batailles d’index à l’appui ou recherche frénétique de citation dans « Google Scholar ».
Cette recherche-là est délétère et risque de faire prendre des vessies pour des lanternes.

Soyons vigilants et apprenons à identifier sur quelles bases on reconnaît les experts.

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