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Idiots en excès de confiance : Pourquoi l’incompétence engendre la certitude

par Melanie Trecek-King et traduit par Citizen4Science, issu de son site internet anglophone Thinking is Power dédié à la pensée critique pour le grand public sur de nombreux aspects. Parcourez le blog pour retrouver de nombreuses productions de Melanie en version française sur le site de C4S.

Le syndrome de Dunning-Kruger explique pourquoi les personnes stupides pensent qu’elles sont incroyables

Par une journée ensoleillée de 1995, un homme est entré dans une banque de Pittsburgh. Il a souri aux caméras de sécurité, a pointé une arme sur les caissiers et a exigé qu’ils lui donnent de l’argent.

Quelques heures plus tard, il a braqué une deuxième banque.

Du haut de ses 1 m 80 m et avec ses 80 kg, l’homme n’était pas difficile à manquer. Surtout qu’il ne portait pas de masque.

Le journal télévisé du soir a diffusé des images du visage de l’homme pour aider la police à identifier le braqueur. Ils ont trouvé son nom en une heure et se sont immédiatement rendus au domicile de McArthur Wheeler, 45 ans, pour l’arrêter.

Wheeler est abasourdi. Il n’arrivait pas à croire qu’il avait été pris. Il n’a même pas essayé de clamer son innocence. Au lieu de cela, il a continué à répéter, « Mais j’avais mis du jus. »

Pendant l’interrogatoire, Wheeler a dit à la police qu’il ne comprenait pas comment les caméras de sécurité avaient pu capter son image, car il s’était enduit le visage de jus de citron pour se rendre invisible. La police a supposé qu’il était drogué ou alcoolisé. Mais non. Il était sobre.

Il avait juste vraiment, mais vraiment tort.

Apparemment, Wheeler avait appris que le jus de citron pouvait être utilisé comme une encre invisible, et en avait conclu qu’il pouvait se rendre invisible en s’en frottant le visage. Bien sûr, il n’était pas stupide, alors il s’est assuré de tester son hypothèse. Il a mis du jus de citron sur son visage et a pris un selfie avec un appareil photo Polaroid. La photo vierge a prouvé que son idée avait fonctionné. Hop, il avait découvert un moyen infaillible de commettre des crimes sans se faire prendre.

Le jour du braquage, il s’est mis tellement de jus de citron sur le visage que ça lui piquait les yeux et qu’il avait du mal à voir. Il est entré dans la banque, visage nu et souriant, convaincu que personne ne pouvait le voir.

Non qualifié et inconscient

Le cas de Wheeler a attiré l’attention du professeur de psychologie David Dunning et de son étudiant diplômé, Justin Kruger, qui se sont demandés comment ce voleur incompétent avait pu être si sûr que son plan allait fonctionner.

Dunning et Kruger ont entrepris d’enquêter en utilisant le rat de laboratoire préféré des psychologues… des étudiants de premier cycle. Ils ont demandé aux étudiants d’évaluer leurs capacités en logique et en grammaire par rapport aux autres étudiants. Puis ils ont réellement testé leurs capacités. Les résultats ont été consternants. Les étudiants qui avaient les plus mauvais résultats surestimaient constamment et de manière substantielle les résultats qu’ils pensaient avoir obtenus.

Tous les étudiants ont pensé être au-dessus de la moyenne, mais ceux qui étaient dans le quartile le plus bas sont ceux qui ont le plus surestimé leurs capacités, alors que ceux du quartile le plus élevé ont sous-estimé leurs capacités. (Dunning & Kruger, 1999)

Il est intéressant de noter que Dunning et Kruger ont également constaté le contraire pour les personnes les plus performantes, qui avaient tendance à sous-estimer leurs capacités. Leur expertise leur permettait de reconnaître leurs erreurs et de voir les lacunes dans leurs connaissances. En outre, ils partaient du principe que, si une chose est facile pour eux, elle doit être tout aussi facile pour les autres.

Lors d’une étude de suivi menée sur un stand de tir, les deux chercheurs ont évalué des amateurs d’armes à feu en ce qui concerne la sécurité, et ont constaté le même schéma. Ceux qui ont obtenu les notes les plus basses ont largement surestimé leurs connaissances, et ceux qui ont obtenu les notes les plus élevées les ont sous-estimées.

Les résultats ont été reproduits dans toute une série de domaines. Une étude a révélé que 80 % des conducteurs se considéraient comme de capacités supérieures à la moyenne. Une autre a révélé que 94 % des professeurs d’université se considéraient également comme de capacités suprérieures à la moyenne. (Ce n’est pas comme ça que les moyennes fonctionnent. Nous ne pouvons pas tous être au-dessus de la moyenne !)

Le résultat de leurs travaux est ce qu’on appelle le syndrome de Dunning-Kruger, un biais cognitif selon lequel les personnes les moins compétentes dans une tâche surestiment leurs capacités. Apparemment, les compétences et les connaissances requises pour être compétent dans une tâche sont les mêmes que celles nécessaires pour évaluer sa propre compétence. Ou, comme le dit Dunning, si vous êtes incompétent, vous ne pouvez pas reconnaître votre incompétence.

Fondamentalement, nous sommes aveugles face à notre propre ignorance. Et, sans connaissances réelles, nous sommes incapables de reconnaître nos erreurs et nos limites. Mais nous sommes vraiment confiants, car un esprit ignorant n’est pas une page blanche. Il est encombré d’une illusion de la connaissance, comme des expériences trompeuses, des faits aléatoires et des intuitions.

Nous sommes également incapables d’apprécier l’expertise des autres, et nous ne parvenons pas à intégrer les commentaires ou à nous améliorer. Nous sommes déjà sûrs de tout savoir, alors pourquoi écouterions-nous quelqu’un d’autre ?

La plupart d’entre nous ont fait l’expérience du syndrome de Dunning-Kruger dans la vie réelle. Cela peut être assez comique. (Et irritant.) Votre oncle grincheux à Thanksgiving qui croit tout savoir. Les auditions d’American Idol par des « chanteurs » qui ne comprennent pas pourquoi les juges rient. Les commentateurs de n’importe quel message sur les médias sociaux qui proclament haut et fort que leur point de vue est un fait et que tous les autres sont stupides. Le politicien qui se vante avec assurance d’en savoir plus sur tout que tous les experts.

Mais voilà le truc. Nous sommes tous des idiots confiants.

Pensez un instant à une chose pour laquelle vous êtes vraiment bon. Il peut s’agir de réparer des voitures, d’élever des bassets, de faire du pain, de jouer à Call of Duty…… Tout ce que vous savez faire. Maintenant, pensez à ce que la personne moyenne sait de votre domaine d’expertise. Ce n’est probablement pas grand-chose, et une partie de ces connaissances est probablement fausse. Elle ne se rend probablement même pas compte de tout ce qu’il y a à savoir.

Maintenant, considérez que vous êtes aussi ignorant que cette personne dans pratiquement tous les autres domaines. Si vous ne venez pas de manger une portion d’humilité, je vous suggère de réfléchir un peu plus, car vous êtes probablement plus bête que vous ne le pensez.

Comme l’a souligné Dunning, « la première règle du club Dunning-Kruger est que vous ne savez pas que vous êtes membre du club Dunning-Kruger ».

La parabole du graphique

Au début de notre mariage, mon mari et moi avons passé un semestre en Allemagne. Pour nous préparer, nous avons acheté des livres et des CD pour apprendre à parler allemand. (C’était avant les applications et les smartphones.) Heureusement pour nous, nous étions dans une région du pays où la plupart des gens ne parlaient pas anglais. Pas de problème. Nous savions comment parler allemand !

Ou du moins, nous le pensions. La plupart des gens étaient assez généreux pour nous faire plaisir, mais disons qu’il y a eu des incidents. Une fois, alors qu’il dirigeait un concert pendant une vague de chaleur, mon mari a répété à plusieurs reprises à un public qu’il avait chaud et qu’ils avaient chaud eux aussi. Ayant oublié d’utiliser le pronom réfléchi, il a essentiellement dit à tout le monde à quel point il était excité.Ayant acquis juste assez de connaissances pour nous sentir en confiance, nous étions au sommet du Mont Stupide. Un faible niveau de connaissance est une chose dangereuse.

Le syndrome de Dunning-Kruger a décollé comme un feu de paille sur internet,car il a clairement touché un nerf. Les memes et les plaisanteries sont devenues virales, comme l’est devenu ce graphique, qui, s’il semble intuitif, ne faisait pas partie de la recherche originale. Néanmoins, par une ironie du sort, Dunning a testé le graphique ultérieurement et a confirmé qu’internet avait vu juste ! Source : Intelligent Speculation

En fait, c’est bondé tout là-haut, plein de gens ont regardé quelques vidéos sur YouTube et pensent avoir découvert la preuve que la NASA cache le fait que la Terre est plate, ou la célébrité qui a passé quelques heures sur Google et a conclu qu’elle en savait plus sur les vaccins que les scientifiques.

Descendre du Mont Stupide n’est pas automatique. Certains y restent à vie. Mais avec un peu de chance, vous en apprenez suffisamment pour descendre dans la vallée du Désespoir. La confiance chute parce que vous réalisez qu’il y a plus à apprendre. C’est compliqué. Houla, et il y a des gens qui en savent plus que vous !

Si vous persévérez, vous commencez à gravir la pente de l’Illumination. Vous apprenez davantage, faites des liens, reconnaissez les nuances. Vous réalisez que vous ne saurez peut-être jamais de façon sûre. Vous gagnez en maîtrise et votre confiance augmente.

Et, chose frustrante, vous voyez ceux qui sont au sommet du mont Stupide et vous vous demandez comment ils peuvent être aussi confiants alors qu’ils ont manifestement tort.

Comment ne pas être un idiot confiant

McArthur Wheeler était sûr que son plan était infaillible, et convaincu que le jus de citron le rendrait invisible. Quand la police lui a montré les vidéos de surveillance, il a pensé qu’elles étaient fausses. Il ne pouvait pas croire qu’il avait eu tort. Il n’arrêtait pas de répéter, « Mais j’avais mis du jus ! »

(Apparemment, l’incompétence de Wheeler s’étendait à la photographie, car lorsqu’il a tourné l’appareil pour prendre un selfie afin de tester son plan, en fait il a en pris une photo du plafond).

La confiance de Wheeler était due à son incompétence. Il était trop ignorant pour reconnaître ses erreurs, et prenait de mauvaises décisions à cause de cela. En résumé, il s’était trompé lui-même.

Donc, si nous ne savons pas ce que nous ne savons pas, quelle est la solution ?

Le syndrome de Dunning-Kruger survient parce que nous sommes incapables d’évaluer objectivement nos connaissances et nos compétences. Par conséquent, la solution se résume à la métacognition, ou à la prise de conscience de nos processus de pensée, afin que nous puissions évaluer plus précisément et plus honnêtement nos propres connaissances et compétences.

L’humilité intellectuelle, ou le fait de reconnaître que nous pouvons avoir tort, est également essentielle.

Alors demandez-vous comment vous savez quelque chose. Et peut-être plus important encore, comment sauriez-vous si vous avez tort ? Évaluez honnêtement les preuves. Considérez que vous n’en savez peut-être même pas assez pour être capable d’évaluer les preuves.

Soyez curieux de ce que vous ne savez pas. Recherchez activement vos zones d’ombre. Demandez l’avis d’experts et soyez ouvert à l’intégration de leurs suggestions. S’ils vous disent que vous avez fait une erreur ou que vous avez négligé quelque chose, ne soyez pas sur la défensive. Écoutez et apprenez.

Soyez à l’aise avec l’incertitude. La plupart des problèmes sont plus compliqués que nous ne le pensons, et comprendre la complexité et les nuances nécessite des connaissances et une expertise approfondies.

Et aussi : surveillez votre confiance. Ne mettez pas de jus !

Le message à retenir

Beaucoup d’entre nous traversent le monde confiants dans ce qu’ils pensent savoir. Malheureusement, notre orgueil démesuré nous empêche d’acquérir de véritables connaissances. Être capable d’évaluer avec précision ce que nous savons et comment nous pensons est essentiel pour une véritable compréhension. Souvent, notre confiance est une illusion, fondée sur une illusion de connaissance. Nous sommes stupides et fiers……complètement inconscients de tout ce que nous ne savons pas.

Pour prendre de meilleures décisions, il vaut mieux réfléchir. Nous sommes des experts pour nous tromper nous-mêmes, et nous aimons avoir raison et tout savoir. Mais si notre objectif est la connaissance réelle, nous devons reconnaître les limites de notre savoir.

Une dernière chose

Le syndrome de Dunning-Kruger est un nouveau nom pour un état auquel les scientifiques et les philosophes réfléchissent depuis des siècles. Ils l’ont dit mieux que je ne pourrais le faire, je leur laisse donc le dernier mot.

Pour en savoir plus

TEDx Philip Fernbach, Why Do We Believe Things that Aren’t True
ZME Science, The Dunning-Kruger Effect, or Why the Ignorant Think They’re Experts

Traduction : Citizen4science – Lien vers l’article original

3 réflexions sur “Idiots en excès de confiance : Pourquoi l’incompétence engendre la certitude

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