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Réintégration des soignants suspendus : une décision éthique et politique qui ne signifie pas leur réhabilitation mais fait émerger une nouvelle doctrine vaccinale

par Emmanuel Hirsch, Professeur d’éthique médicale, Université Paris-Saclay

« La vérité scientifique, qui n’exclut pas les nuances et peut évoluer, doit être la référence qui guide les décisions politiques et permet d’apaiser les tensions trop nombreuses, » soulignait l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques (OPECST) dans son rapport du 9 juin 2022 (« Les effets indésirables des vaccins contre la Covid-19 et le système de pharmacovigilance français »).

Cette exigence a été honorée par la Haute autorité de santé (HAS) qui a présenté, les 29 et 30 mars 2023, deux études portant sur les « obligations vaccinales des professionnels », menées à la suite d’une consultation. Au-delà de préconisations qui soulignent le caractère insatisfaisant de toute pratique systématisée en santé publique sans tenir compte du contexte, de sa pertinence et de son acceptabilité, la HAS ne retient plus comme obligatoire que la vaccination préventive des professionnels de santé contre l’hépatite B. Elle reste « fortement recommandée » pour le Covid-19, la diphtérie, le tétanos et la poliomyélite.

Le refus du consentement de quelques soignants à une prescription médico-scientifique aura contribué à ce qu’une nouvelle doctrine de la stratégie vaccinale soit proposée, non pas pour cautionner une position qui pouvait s’avérer déontologiquement contestable, mais afin de viser à plus de rigueur et d’efficacité si l’éventualité d’une nouvelle pandémie imposait des restrictions aux libertés individuelles.

Une question et une réflexion d’actualité

Avant de reprendre la genèse et le fond du débat abordé dans mon article du 2 mai 2022, rappelons les éléments d’actualité qui suscitent quelques controverses déontologiques au moment où l’OMS, le 5 mai 2023, annonce que « le Covid-19 n’est plus une urgence sanitaire de portée internationale ».

La loi n° 2022-1089 du 30 juillet 2022, mettait fin aux régimes d’exception créés pour lutter contre l’épidémie liée à la Covid-19 (le 1er août l’obligation vaccinale de certains professionnels était abrogée). Elle fixait dans son article IV que, « lorsque, au regard de l’évolution de la situation épidémiologique ou des connaissances médicales et scientifiques, telles que constatées par la Haute autorité de santé, l’obligation prévue au I n’est plus justifiée, celle-ci est suspendue par décret, pour tout ou partie des catégories de personnes mentionnées au même I ».

Tenant compte des préconisations de la HAS sollicitées par le législateur, François Braun, ministre des Solidarités et de la Santé, annonce le 28 avril 2023 qu’un décret définirait le 14 mai les conditions de réintégration des professionnels non vaccinés.

Toutefois, le 4 mai les députés estiment que la rédaction d’un décret n’a pas la portée d’une abrogation. Ils votent en première lecture une proposition de loi portant abrogation de l’obligation vaccinale contre la Covid-19 dans les secteurs médicaux, paramédicaux et d’aide à la personne et visant à la réintégration des professionnels et étudiants suspendus :

« […] La présente proposition de loi entend, en son article 1er, abroger les dispositions de la loi n° 2021 1040 du 5 août 2021 relatives à l’obligation vaccinale et ainsi permettre aux professionnels et étudiants suspendus car non vaccinés de reprendre leur activité. »

Entre suspension et abrogation, la distinction n’est pas anodine. Elle peut en effet être interprétée comme une réhabilitation de professionnels ayant dérogé à la règle générale et compromettre toute décision d’obligation vaccinale en cas de nouvelle crise sanitaire qui la justifierait.

Rappeler l’efficacité de la vaccination

Rappelons la mise en mise en garde, en 2010, de la Commission d’enquête sur la manière dont avait été programmée, expliquée et gérée la campagne de vaccination contre la grippe A (H1N1). Elle avertissait que « la défiance à l’égard de la vaccination constitue un défi pour l’avenir. Demain, il nous faudra peut-être faire face à une nouvelle pandémie d’une gravité plus sévère. La mobilisation du corps social sera alors indispensable. Comment ferons-nous si l’on ne croit plus aux mesures de santé publique ? »

C’est avec la même préoccupation d’un risque d’opposition des professionnels à des mesures considérées contraignantes au regard de choix individuels, que nombre d’instances, dont la Fédération hospitalière de France (FHF), à travers une position de son président Arnaud Robinet, ont exprimé leurs réticences à l’encontre des récentes préconisations de la HAS : « Je tiens à dire clairement que la suspension de l’obligation n’enlève rien à l’efficacité des vaccins : ils restent fortement recommandés pour les personnes à risque, mais aussi pour les professionnels de l’hôpital. Depuis trois ans, la pandémie nous demande de nous adapter. La décision de la HAS est une nouvelle étape, et nous devons rester vigilants vis-à-vis du Covid, mais aussi de toutes les épidémies qui arrivent et qu’il faut prévenir. »

Quant à l’Académie nationale de médecine, la plus déterminée à soutenir l’obligation vaccinale des professionnels y compris pour des raisons d’ordre moral et d’exemplarité, elle rappelait :

« Loin d’être une atteinte à la liberté individuelle, les obligations vaccinales qui s’appliquent aux professionnels de santé sont des mesures préventives indispensables pour éviter la transmission nosocomiale des infections ; admises par les soignants parmi les pratiques visant à protéger les malades hospitalisés, de plus en plus âgés et fragiles, elles font l’honneur de leur profession. L’Académie nationale de médecine recommande que les vaccinations annuelles, chaque automne, contre la grippe et contre la Covid-19 soient incluses dans les obligations vaccinales des professionnels exerçant dans les secteurs sanitaire et médico-social. » (Communiqué du 31 mars « Vaccinations obligatoires des soignants : l’honneur d’une profession »)

Cette décision de réintégration est en fait sans autre conséquence qu’éthique ou politique, dès lors qu’elle ne concernerait que près de 4000 professionnels (dont certains ne l’auront pas attendue pour réorienter leurs activités) sur les 637 644 infirmiers et 400 000 aides-soignants exerçant au 1er janvier 2022. Il apparaît néanmoins clairement que son impact dépasse le champ d’une procédure administrative. Elle éveille des controverses relatives au processus décisionnel au cours de la crise, aux modalités d’arbitrage et d’accompagnement de décisions, voire de leur réversibilité, notamment quand elles se seraient avérées inappropriées, du moins dans leur forme et au regard de certaines de leurs conséquences.

Une nouvelle doctrine de la stratégie vaccinale

Santé publique France a évalué à 158 336 le nombre des professionnels en établissement de santé contaminés par le SARS-CoV-2 entre le 1ᵉʳ mars 2020 et le 7 février 2023. Le nombre d’infections nosocomiales, entre le 1ᵉʳ mars 2020 et le 14 janvier 2022, est de 6 505.

La protection contre tout risque de transmission évitable, tant des personnes reçues dans un établissement de santé ou résidentes dans une structure médico-sociale que des professionnels auprès d’eux, constitue un impératif qui ne saurait tolérer la moindre négligence.

C’est sur la base d’une expertise scientifique et de données internationales que la HAS a éclairé la décision politique concernant la réintégration des professionnels non vaccinés. Mais davantage encore, elle propose une nouvelle doctrine de la stratégie vaccinale qui sera complétée par une évaluation « attendue pour juillet 2023, [qui] concernera les vaccinations actuellement recommandées pour les professionnels, à savoir ; les vaccins contre la coqueluche, la grippe, l’hépatite A, la rougeole, les oreillons, la rubéole et la varicelle. »

Dans son étude du 30 mars 2023 « Obligations vaccinales des professionnels : la HAS publie le 1ᵉʳ volet de ses travaux », elle préconise que :

« soient respectées les recommandations du Haut conseil de la santé publique (HCSP) sur les gestes barrières en milieu de soins. [Que] la vaccination contre la Covid-19 soit fortement recommandée, y compris les rappels à distance de la primo-vaccination, pour les étudiants et professionnels des secteurs sanitaire et médicosocial (exerçant en établissements ou libéraux) et les étudiants et professionnels des services de secours et d’incendie (notamment les sapeurs-pompiers professionnels et bénévoles), en particulier pour les professions en contacts réguliers avec des personnes immunodéprimées ou vulnérables. »

Elle souligne encore que :

« La vaccination ne remplace pas les autres mesures de prévention des infections des professionnels et des personnes avec lesquelles ils sont en contact. Le respect des mesures d’hygiène, l’utilisation d’un matériel adapté et de protections individuelles, la surveillance et la prise en compte des infections associées aux soins, ainsi que la formation des personnels pour prévenir ces risques constituent une priorité. »

Le juste équilibre entre bonnes pratiques professionnelles, préconisation de la vaccination et respect des gestes barrières constitue un repère qui engage au discernement personnel, chacun devant apprécier le champ de ses responsabilités pour soi et envers les autres.

Dans son étude du 29 mars « Obligations et recommandations vaccinales des professionnels », la HAS rappelle que :

« Toute décision de rendre ou de maintenir obligatoire une vaccination pour des professionnels de santé ne doit s’appliquer qu’à la prévention d’une maladie grave, et avec un risque élevé d’exposition pour le professionnel, et un risque de transmission à la personne prise en charge, et pour laquelle existe un vaccin efficace et dont la balance bénéfices/risques est largement en faveur ».

La balance bénéfices/risques appréciée dans l’évaluation de la pertinence et de l’acceptabilité d’une décision en termes de recherche menée sur une personne, ne conclut pas à un avis favorable à l’obligation vaccinale.

Le principe essentiel à toute démarche scientifique, et donc à une décision en santé publique fondée, acceptable et soutenable, est celui d’une approche circonstanciée selon des critères identifiés, rigoureux, transparents, évalués avec méthode :

« La HAS préconise de faire évoluer le cadre juridique actuel afin que l’obligation vaccinale des professionnels soit fondée sur des critères liés à la catégorie professionnelle (en fonction du risque d’exposition professionnelle et/ou de la personne prise en charge) et aux actes à risque susceptibles d’être réalisés, plutôt que sur une liste d’établissements ou organismes dans lesquels ils exercent. »

Du reste la préconisation de lever l’obligation de vaccination contre la Covid-19 adoptée par la HAS est elle-même conjoncturelle et pourrait être revue en cas d’urgence sanitaire le justifiant. Et elle ne remet pas en question ses précédents avis rendus dans des contextes sanitaires différents.

La crise sanitaire aura imposé en bien des domaines un devoir de « vérité scientifique ». Il s’avère d’autant plus nécessaire quant l’on sait ce qu’a été l’approche ambivalente des responsables politiques, comme je l’avais évoquée le 2 août 2022.

Face à l’urgence de décider dans un contexte évolutif d’incertitude, de peurs et de défiance, la décision publique est difficile à arbitrer dès lors que la constitution de données probantes est dépendante d’une temporalité inhérente à la rigueur de la méthodologie scientifique. Les principes et repères comme ceux proposés par la HAS constituent un référentiel.

L’urgence d’un cadre éthique

Je l’ai déjà indiqué, cette réintégration n’est pas une réhabilitation […] Il faudrait que l’on anticipe les événements futurs et qu’il y ait un débat réel sur l’obligation vaccinale pour tous.

Il manque une concertation nationale à la suite de la pandémie. Comme si aucun de ses enjeux (limitations de l’accès en réanimation, déprogrammations, décrochages sociaux, souffrances psychiques, deuils, hommages aux victimes, etc.) ne justifiait une restitution.

Au-delà de la préconisation de la HAS, il y a des enjeux relevant également d’une approche éthique. Dans sa réponse à la saisine du ministre des Solidarités et de la Santé du 18 décembre 2020, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) récapitulait déjà avec justesse les « enjeux éthiques d’une politique vaccinale contre le SARS-CoV-2 » :

« Ce que le contexte pandémique a aussi fait émerger, au-delà de l’urgence sanitaire, c’est l’urgence de se donner un cadre éthique qui sous-tende la politique en matière de vaccination. La vaccination est avant tout un enjeu de santé publique et illustre, plus que d’autres champs de la médecine, un conflit éthique entre les intérêts de la société et les intérêts individuels. Car ce n’est pas seulement protéger celui auquel le vaccin est administré. La vaccination protège aussi les autres, ce qui met en évidence le caractère altruiste et l’utilité sociale de la vaccination. »

En situation de crise non anticipée, le principe de réalité n’exonère pas de l’exigence de penser le processus décisionnel dans sa complexité, particulièrement lorsque nos valeurs sont engagées. Car il convient de concilier des enjeux parfois contradictoires, au regard d’une conception subjective du « moindre mal » ou du préférable.

Ainsi, le 30 juin 2020, la HAS considérait que « face au risque épidémique et à la lumière des données disponibles sur la protection des vaccins contre la transmission, la vaccination des professionnels de santé et plus généralement de ceux qui sont en contact avec des personnes vulnérables revêt un enjeu éthique autant que de santé publique ».

Toutefois, une étude présentée en juillet 2022 par la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DRESS) démontrait que le curseur éthique ou déontologique pouvait procéder de logiques d’adaptations discutables : « 19 % des personnels hospitaliers déclarent avoir été incités à se rendre sur leur lieu de travail alors qu’ils étaient cas contact ou avaient des symptômes du Covid-19, contre 4 % pour l’ensemble des personnes en emploi. »

Ce qui apparaît comme un ajustement nécessaire, qui peut s’avérer nécessaire au regard de considérations estimées supérieures, n’a pas été admis pour des professionnels de santé opposés à la vaccination obligatoire. Rien ne permet d’affirmer aujourd’hui, d’une part que leur absence dans les services ou les établissements n’a pas été dommageable à la qualité des soins et de l’accompagnement, mais également qu’ils auraient eux-mêmes pu évoluer dans leur choix si à l’obligation avait été préférée une approche personnalisée et confiante, donnant le temps parfois nécessaire à l’acceptation d’une mesure qui a priori pouvait inquiéter.

Le 9 mars 2021, dans son communiqué « La vaccination des soignants contre la Covid-19 doit devenir obligatoire », l’Académie nationale de médecine soutenait « que l’hésitation vaccinale est éthiquement inacceptable chez les soignants ».

L’enjeu à la fois éthique et politique est d’intégrer au processus décisionnel le temps de « l’hésitation », de la délibération indispensable à une démarche de consentement ou de refus argumenté. C’est ce qu’il convient d’envisager en termes de responsabilisation, car il n’est pas sans importance de considérer que la responsabilité administrative et juridique d’un établissement est également de mettre en œuvre toute mesure de protection de ses salariés.

Qu’en a-t-il été alors de l’attention portée aux risques consécutifs à l’hospitalisation des personnes qui avaient refusé la vaccination, y compris en réanimation ?

Les interventions à venir, favorables ou non à la réintégration des professionnels non vaccinés, sont importantes à analyser. Il s’agit là d’un moment qui symbolise un retour à un rétablissement de pratiques normalisées, en rupture avec l’état d’exception.

La démarche scientifique voulue par les parlementaires le 30 juillet 2022 permet d’identifier les critères présentés par la HAS et, a posteriori, d’observer que cet examen aurait pu être mené avant la crise et ne pas être la conséquence d’une crise de confiance au sein de la communauté des soignants. Certains opposants à la vaccination exprimaient en effet leur refus d’une prescription qui s’ajoutait à d’autres décisions dont on reconnaît désormais le caractère erratique et les effets préjudiciables.

Le 6 mars 2021, le Conseil national de l’Ordre des médecins affirmait que « la vaccination des soignants est une exigence éthique ». Ne conviendrait-il pas de nous concerter sur ce que sont des « exigences éthiques » en temps de crise sanitaire ? L’obligation vaccinale des professionnels de santé doit-elle être considérée, rétrospectivement, tant du point de vue de sa valeur d’exemplarité, de l’observance des règles de bonnes pratiques suscitant le risque d’une défiance à l’égard de l’expertise scientifique et de l’autorité publique, que du point de vue de son efficacité épidémiologique ?

L’apport de la vaccination

Depuis le 5 mai 2023, l’OMS ne considère plus le Covid comme une urgence sanitaire de portée internationale. Rappelons tout de même qu’au plan mondial, 765 millions de personnes ont été infectés, plus de 20 millions sont décédées. Le 3 mai 2023, Santé publique France indiquait dans notre pays 166 811 décès depuis le début de la pandémie.

L’OMS a également rappelé aux professionnels ce qu’a été le privilège de bénéficier de l’accès à une vaccination qui a directement contribué à sortir de la crise du SARS-CoV-2.

« Il a été démontré que la vaccination contribue à réduire les décès et les maladies graves dus au Covid-19 et à réduire la transmission. […] La vaccination d’une proportion importante de la population protège également les personnes vulnérables, y compris celles qui ne peuvent pas recevoir de vaccins, ou la faible proportion de personnes qui pourraient rester à risque d’infection après la vaccination. Le fait de ne pas vacciner largement permet également la circulation continue du virus et la génération de variantes, y compris certaines qui peuvent présenter un risque plus élevé. […] Elle a également contribué à permettre le retour à un fonctionnement sociétal normal et la réouverture des économies. » (« Déclaration à l’intention des professionnels de la santé : comment les vaccins contre la Covid-19 sont réglementés pour des raisons d’innocuité et d’efficacité », 17 mai 2022)

Hommage rendu à la communauté des professionnels de santé qui, dans le monde, se sont engagés à nos côtés pour lutter contre le SARS-CoV-2, auquel je m’associe. Leur exigence éthique s’est exprimée dans les circonstances les plus redoutables bien au-delà de l’acceptation de la vaccination obligatoire, en termes d’obligations morales tout autant que sanitaires.

Texte paru initialement dans The Conversation.

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