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Chronique azuréenne 1/8 : ‘Raoul Dufy, le miracle de l’imagination’ – Musée des Beaux-Arts de Nice

On ne naît pas Raoul Dufy, on le devient. Encore faut-il pour cela faire preuve de persévérance. Si l’artiste est, de nos jours, mondialement célèbre pour ses couleurs joyeuses, son inspiration solaire et son art de la sensualité épanouie, il eut, de son vivant, nombre de raisons de désespérer. Le natif du Havre est « monté » à Paris pour suivre les cours de Léon Bonnat aux Beaux-arts, mais ce qui le fascine ce ont les impressionnistes et les postimpressionnistes. Durant bon nombre d’années, Dufy ne sera que le reflet de ses admirations : il découvre Luxe, calme et volupté, la toile de Matisse, en 1905 et il devient plus Matisse que Matisse lui-même. Lors d’un séjour à L’Estaque, près de Marseille, en 1908, il rencontre le travail de Cézanne et il est plus Cézanne que Cézanne (Bateaux à L’Estaque, 1908).

D’ailleurs, son art ne se vend pas, et, durant quelques temps, il se voit contraint d’accepter des commandes alimentaires. Avec Joseph Llorens i Artigas, il travaille la céramique (Vase aux baigneuses sur fond rose, 1925 ; Vase aux baigneuses sur fond jaune, 1926).

Avec le couturier Paul Poiret, il crée un atelier de tissus peints à la main ou imprimés avec des bois gravés. La maison lyonnaise Bianchini-Ferrier lui commande des esquisses pour textiles d’ameublement (Le matelot au Neptune, 1919). Des éditeurs lui demandent des illustrations (Le bestiaire : la pêche, 1910, xylographie sur papier).

Ce n’est pas tout à fait de l’art, c’est de l’art appliqué. Mais qu’importe ? Raoul Dufy s’y consacre avec intérêt et fougue : il poursuit ses recherches esthétiques. Dans son illustration du Poète assassiné, le texte d’Apollinaire, comme dans ses tableaux, c’est un trait de noir qui dit l’éblouissement de la lumière (Chapitre 8 Mammon, 1926, lithographie) puisque, pour quiconque veut peindre, le noir est l’idéal réceptacle de la lumière la plus résolue : « Le soleil au zénith, c’est le noir : on est ébloui ; en face, on ne voit plus rien ».

Et puis, bien sûr, le petit normand a fait l’expérience du sud. Et il ne peut plus s’en passer, même si, à la fin de sa vie, il lui arrivera de revenir sur ses pas (Entrée du port de Trouville, 1934 [à droite] ; La plage à Sainte Adresse, 1935 [à gauche]).

Avec Emilienne, qu’il a épousée en 1911, il va vivre plusieurs années à Nice, dont elle est originaire. Et c’est à Nice, et aussi à Vence, que se produit le miracle. Vence, sa toile de 1919, montre une ville tout à la fois bleue et jaune, tout à la fois blanche et noire, parce que c’est le jour et que c’est aussi la nuit, et puis parce que le soleil !

De la même façon, le « Grand arbre à Sainte Maxime » (1942) est bleu et vert, comme le ciel, parce que le sol est d’ocre jaune , et parce que le soleil !

Le petit normand devenu gars du sud ne va, dès lors, plus cesser : dans le Jardin public à Hyères, de 1952, la couleur est à distinguer de la forme. La couleur ne dit plus la forme. Elle est, cette couleur, une musique : la basse rythmique sur laquelle s’improvise la mélodie du trait. Lequel trait ne cherche pas à parler, mais à chanter, à évoquer, à inspirer.

Dans La grande baigneuse de 1950, les courbes du corps féminin s’opposent aux formes géométriques des toits, des murs, des fenêtres et des balcons.

Sur le flots cent fois, mille fois peints, les vagues sont devenues des triangles, comme les voiles, comme les coques des navires. C’est fait, c’est dit : chez Dufy, la couleur peut désormais chanter la vie et le bonheur. Dans l’éblouissant Nu à la coquille de 1933, le dégradé rose, bleu et ocre du fond est fait de la même sensualité que la chair de la femme.

Pas surprenant que Dufy se soit autant passionné pour la musique (Hommage à Claude Debussy, 1952 (à gauche); Les musiciens mexicains, 1951) : la peinture, c’est de la musique qui se voit, les couleurs sont des tonalités et leur répartition sur la toile, c’est l’harmonie.

A l’entrée de l’exposition figure un tableau de jeunesse prémonitoire (1909) : Le bouquet dans l’atelier de la rue Séguier. Sur la gauche, les chevalets sont inutilités et les toiles encore vierges tandis qu’en plein centre de la composition le bouquet attend qu’on le peigne. Comme attendent aussi, sur la droite, le paysage, la ville, la lumière. Comme s’il fallait à l’artiste se déplacer, sortir de l’atelier, faire mouvement.

C’est ce que fit Dufy : se déplacer. On ne naît pas Raoul Dufy, on le devient : c’est le miracle de l’imagination.

Photos Alain Girodet – juin 2025 – Copyright

jusqu’au 28 septembre 2025

33 avenue des Baumettes, 06000 Nice

Illustration : Raoul Dufy : Nu au patio à Caldas de Montbuy [Caldes de Montbui, Espagne], 1945 – huile sur toile

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