Violence sur les réseaux sociaux : un médecin anti-Raoult frappé de trois mois d’interdiction d’exercice
Les clans radicalisés anti- et pro-Raoult, nés sur internet dans la crise du Covid, font perdurer une délinquance du net qui peut finir par être sanctionnée, quel que soit le bord
Strasbourg, 18 juin 2025 : Le Conseil de Discipline de Première Instance de l’Ordre des Médecins du Grand-Est a prononcé une sanction contre le Dr Damien Barraud, anesthésiste-réanimateur, interdit d’exercer la médecine pendant trois mois, dont un mois ferme et deux avec sursis. Cette sanction disciplinaire fait suite à une plainte déposée par Jean-Yves Capo, à laquelle l’instance s’est associée solidairement. Elle survient dans un climat de tensions circonscrit à un réseau social et marqué par des dérives sectaires et un harcèlement réciproque. Ce combat d’arrière-garde autour de Didier Raoult, à la retraite depuis plusieurs années, n’intéresse plus les médias depuis sa chute, mais les deux clans persistent, semble-t-il pour tenter d’exister. La loi et la déontologie, oubliées par ces militants de réseaux sociaux, se rappellent parfois à eux.
Pseudoscience, faux experts, dérives sectaires et instrumentalisation politique
La crise du Covid-19 a exacerbé les divisions autour du Pr Didier Raoult et de l’hydroxychloroquine, qu’il a administré à des dizaines de milliers de patients à l’IHU de Marseille, hors requis réglementaires et éthiques. Encensé dans un populisme médical exacerbé par les politiques et médias tombés globalement « dans le panneau » de son traitement miracle, deux lanceurs d’alerte ont dénoncé très vite dans des médias grand public la supercherie de l’étude clinique de Didier Raoult à la base de la croyance. Il s’agit de la professeur Karine Lacombe, infectiologue, qui s’est exprimée dans les journaux télévisés aux grandes heures d’écoute, et plus modestement dans un journal local, du Dr Barraud. La première a été victime d’une vague de harcèlement en retour d’une violence inouie de la part des défenseurs du professeur marseillais, dits « pro-Raoult ». La déontologie chevillée au corps, elle le a eu la sagesse de ne jamais sombrer dans cette délinquance en retour. Ce n’est pas le cas de tous les défenseurs de la science médicale. Les anti-Raoult, parfois qualifiés de « camp du bien » défendant la rigueur scientifique et s’opposant aux dérives pseudoscientifiques, se sont radicalisés, attirant en leur sein des éléments agitateurs, opportunistes en quête de lumière. Bon nombre n’ont pas la moindre expertise des problématiques très spécialisées abordées, voire même aucune formation médicale. Les réseaux sociaux ont amplifié ces tensions, transformant un débat autour de la science médicale en une guerre idéologique. Les deux groupes ont versé dans des comportements toxiques voire illégaux : insultes, harcèlement et attaques personnelles. Si les pro-Raoult ont ciblé des scientifiques défendant leur métier et leur expertise, certains anti-Raoult, initialement victimes comme le Dr Barraud, entouré de supporters enclins à la « fight« , ont adopté des pratiques similaires, perpétuant un cycle de violence numérique qui perdure des années après la fin de la crise sanitaire inédite.
Affaire CAPO vs BARRAUD : un symptôme des dérives
L’affaire découle d’un message public posté par Damien Barraud sur Twitter (devenu X), adressé à un individu pro-Raoult : « Merci de rédiger vos directives anticipées pour dire qu’en cas d’agonie vous refusez toute sédation analgésie. Je me ferai un plaisir de vous regarder étouffer avec les yeux sortant des orbites. ».
Cette publication doit être replacée dans son contexte. En mars-avril 2020, des rapports (ex. Conseil de l’Ordre des Médecins, enquêtes sénatoriales de 2021) ont révélé que le médicament Rivotril (clonazépam) avait été distribué en urgence par les autorités sanitaires françaises (via l’ANSM) aux Ehpad pour sédater des patients Covid-19 en détresse respiratoire. Cette molécule, utilisée pour ses effets anxiolytiques et sédatifs, a été critiquée par certains, notamment des pro-Raoult, qui y ont vu une forme d’euthanasie passive, amplifiant les tensions fortement politisées entre les deux clans et une science instrumentalisée à ces fins. Des témoignages d’infirmiers et des plaintes familiales ont alimenté cette controverse, bien que les études (ex. rapport IGAS 2021) aient conclu à une utilisation conforme dans des cas extrêmes. C’est ce contenu, largement relayé notamment parmi les pro-Raoult, qui a semble-t-il conduit l’un d’eux, Jean-Yves Capo, à porter plainte. Ce dernier est connu pour être proche du blog FranceSoir, engagé dans le covido-septicisme.
Après l’échec d’une tentative de conciliation, la Chambre disciplinaire de première instance (CDPI) du Grand-Est, présidée par un magistrat administratif, a jugé le dossier et prononcé une sanction que l’on peut qualifier de modérée. Les faits reprochés au Dr Barraud, bien que non dévoilés dans leurs détails à ce jour, reflètent la persistance d’un débat scientifique dévoyé par les invectives.
Citizen4Science et les efforts de l’Ordre des médecins sur les réseaux sociaux
L’association de médiation scientifique et d’information Citizen4Science, éditeur de Science infused, créée en 2020 pour lutter notamment contrer la désinformation autour du Covid, a mis en lumière ces dérives. En août 2021, elle a rédigé et publié une tribune dans L’Express, « Stop aux menaces de France Soir et au harcèlement des porteurs de la parole scientifique », en réponse à un article de FranceSoir signé « Le médecin résistant », attaquant des anti-Raoult, dont Damien Barraud, avec une allusion menaçante à « la Veuve » (la guillotine). Co-signée par des figures comme le Pr Karine Lacombe, Citizen4Science en tant qu’auteur de la tribune a pérennisé son accessibilité dans nos colonnes. Un autre référence intéressante dans ce contexte est notre article, Médecins et réseaux sociaux : un cadre éthique à renforcer. Il salue les efforts de l’Ordre des Médecins pour établir des lignes directrices via le guide « Déontologie médicale et réseaux sociaux » (2019, mis à jour en 2023). Ce guide rappelle l’obligation de respect (article R.4127-232) et interdit les comportements indignes (article R.4127-75), avec des formations visant à encadrer les médecins face aux dérapages en ligne, un enjeu crucial dans le contexte polarisé post-Covid qui perdure.
Une sanction disciplinaire justifiée
Conformément au Code de la santé publique (articles R.4126-1 et suivants), la sanction de trois mois, avec sursis partiel, répond à un manquement déontologique lié aux propos injurieux et menaçants du Dr Barraud. Ce dernier peut faire appel sous 30 jours devant la Chambre disciplinaire nationale, un recours probable qui suspendrait la sanction. Il a d’ailleurs sans surprise annoncé l’avoir fait. Seuls les clans en opposition s’intéresseront véritablement à l’issue de cet appel, qui pourrait ajuster la peine. Pour l’heure, la décision s’inscrit dans les efforts de l’Ordre pour restaurer la sérénité dans un débat scientifique pollué par les réseaux sociaux, et se doit donc d’être saluée sur le principe.
La déontologie et la probité ne sont jamais en option
Face aux indignations de ceux qui défendent le Dr Barraud, arguant qu’il combattait la désinformation, un rappel s’impose : la déontologie et la probité sont de mise en toutes circonstances, même dans une lutte perçue comme juste. La fin ne justifie pas les moyens. En sanctionnant Damien Barraud, l’Ordre des Médecins affirme son impartialité, refusant de céder aux pressions du « camp du bien » y compris leur population non négligeable de profiteurs de crise. Cette décision, cohérente avec les efforts de l’Ordre pour encadrer les médecins sur les réseaux sociaux, témoigne d’une volonté de ne plus pratiquer l’omerta pour ses pairs. C’est un signal rassurant, plaçant l’intégrité de la profession au-dessus des querelles.
Réaction du Dr Barraud et leçons manquées
Damien Barraud a réagi à sa condamnation de manière très attendue, loin de tout apaisement, en s’appuyant sur pour dénoncer une « aberration » et annoncer un appel imminent sur X via son compte personnel. L’astroturfing en vigueur dans ces clans de réseaux sociaux pointe souvent rapidement son nez, ici avec le lancement d’un hashtag glorifiant, #JusticePourFluidloading (le nom de son compte X), révélant un populisme juridique en vogue dans ces oppositions extrêmes, où la victimisation, souvent théâtralisée et appel à un tribunal populaire, prime sur la réflexion. Cette posture, comme celle de ses adversaires pro-Raoult montre que les leçons de la crise Covid-19 et les sanctions de justice ou disciplinaires n’ont pas encore porté leurs fruits, perpétuant un cycle de radicalisation stérile.
La radicalisation des camps, leur infiltration par des faux experts et l’enfermement dans une spirale de provocation et de victimisation est amplifiée par les réseaux sociaux mais la manne de notoriété s’épuise pour les protagonistes. S’agissant des médecins concernés, malgré les efforts de l’Ordre des Médecins pour restaurer une éthique professionnelle, cette controverse marginale souligne la nécessité d’une régulation plus stricte des discours en ligne des professionnels de santé pour briser de tels cycles stériles qui participent de la dégradation de leur image et de la confiance en la science.
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Illustration d’en-tête : Vinicius Amano
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