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Chronique estivale irlandaise (1/9) : Dublin

 Dublin est une vieille dame étendue nonchalamment d’une part et d’autre de la Liffey, depuis les hauteurs du parc Phoenix, tout à l’ouest, où l’on voit des cerfs, jusqu’à l’embouchure du fleuve où l’on voit la mer. Contrairement à bon nombre de cités françaises, allemandes ou américaines, Dublin ne s’élève pas, elle se répand ; elle ne se dresse pas, elle s’avachit ; elle se s’érige pas, elle se vautre.

À l’exception de l’ancien quartier des docks, où d’outrecuidants architectes, sous couvert de modernité, ont osé quelques périlleux exercices de verre et de métal, Dublin ne dépasse guère les deux étages. C’est à peine si les clochers eux-mêmes dominent les immeubles. Par ailleurs, on ne tiendra pas rigueur aux sus nommés architectes d’avoir donné un peu de lustre au quartier rénové du port : les nuages, nombreux dans le ciel irlandais quelle que soit la saison, se reflètent avec coquetterie dans les miroirs géants des tours de Cardiff Lane.

Ce paysage urbain est à l’image de l’atmosphère générale de l’Irlande. Rien d’ostentatoire ni de démonstratif : à la différence du Français qui ne démord pas, s’il n’est pas le nombril du monde, d’en être néanmoins très proche, l’Irlandais, lui, ne se boursouffle pas. Tout, ou presque, dans la ville, est simple, modeste, de bon ton et plein de couleurs sépia pour faire oublier la misère. Seuls, les pubs s’enorgueillissent de décorations fantasques mêlant croyances populaires, mythologiques celtiques et personnages de comics : le tout dans un goût si surchargé et naïf qu’il en devient délicieusement kitch. C’est particulièrement vrai dans le Saint Germain des prés local, Temple bar, où les pubs se font concurrence avec leurs devantures de bois, extravagantes et fleuris.

L’unique verrue prétentieuse, peut-être, est celle du Dublin’s Castle, pensé et construit par les Anglais qui y logeaient leur Vice-Roi. L’ensemble est lourd, massif, et dix-huitièmiste sans nuances. Tout de suite après l’indépendance, obtenue non sans difficultés, le président De Valera insista pour que l’on conserve le château en souvenir de ce temps où l’occupant anglais prospérait sur la misère irlandaise. Les présidents de la République y sont désormais intronisés, comme une sorte de pied de nez symbolique au passé.

Bien que, comme tout humain qui ne se respecte pas, les Irlandais aient défiguré leur proche banlieue d’un dense réseau de bruyantes nationales et de calamiteux autoroutes, le béton ne s’impose pas à Dublin. On dirait qu’à cause du climat et du caractère insulaire, la nature ne fait que tout juste tolérer la présence de l’homme : la flore est luxuriante, puissante, épanouie, et la faune se fait respecter. Dans les petits ports de pêche tout proches de Dublin, au retour des chalutiers, les phoques viennent réclamer leur quota de poisson tandis que les mouettes agressives crient pour demander leur pitance aux touristes avachis sur les bancs de Saint Stephen green. La nature n’est jamais loin, comme si elle effleurait en permanence sous le béton. D’ailleurs, le béton est loin d’être le matériau dominant : les éléments de construction sont bien davantage la brique, la pierre, la tuile et le bois.

À l’image de certaines villes anglaises ou belges, Dublin n’a pas de forme : nulle enceinte médiévale n’en limite les contours et n’opère de hiérarchie entre la ville, les quartiers, les banlieues. Ce sont les besoin qui mènent aux constructions, lesquelles à leur tour impliquent les voies d’accès et suggèrent l’idée d’un quartier. On n’est pas seulement irlandais, ou pas seulement dublinois, on est de son quartier, de sa rue, de son immeuble, de son  histoire.

Telle est la philosophie d’une ville qui semble avoir été faite, d’abord et surtout, pour les humains et les animaux : on s’y salue aimablement en anglais, quitte à s’y engueuler, plus tard, en irlandais

Illustration : Andrea pour Science infuse

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