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Cinéma : « Le comte de Monte-Cristo » : l’art de la vendetta sublimé par Pierre Niney, des décors et un rythme haletant malgré les libertés avec l’œuvre de Dumas et l’omission de pans entiers

Ce projet était un vrai défi s’agissant d’un roman-fleuve déjà maintes fois adapté au cinéma ou à la télévision ; c’est une réussite. Mais sortons un peu des sentiers battus de la critique dithyrambique en incluant complainte toxicologique du pharmacologue épris du roman !

Synopsis : « Victime d’un complot, le jeune Edmond Dantès est arrêté le jour de son mariage pour un crime qu’il n’a pas commis. Après quatorze ans de détention au château d’If, il parvient à s’évader. Devenu immensément riche, il revient sous l’identité du comte de Monte-Cristo pour se venger des trois hommes qui l’ont trahi.. »

On avait décidé de faire l’impasse sur une critique, car elle est pléthorique et élogieuse, de façon tout à fait méritée. Pourquoi un rajouter une sur la pile ? Les avis étaient partagés à la Rédaction, et mi-septembre l’un de nos reporters en balade à Paris m’a envoyé un trio de photos comme une piqûre de rappel (voir fin d’article). Lire ou relire le roman avant de voir le film n’est pas forcément une bonne idée. Car on ne résume pas une histoire de longue haleine et multi-facettes aux personnages complexes en trois heures de narration au cinéma. Il y a donc des choix d’impasses sur des personnages, des lieux, des événements clés.
Parfois, mieux vaut être novice et confier comme ce jeune homme subjugué à la fin de la séance, qui confie à son voisin : « Trop bien le scénario, ils ont vraiment inventé une super histoire ! ».
En tout cas c’est réussi. Pierre Niney est pour beaucoup, il est vraiment taillé pour le rôle, il en a le physique et le côté énigmatique. Pour ceux qui sont imprégnés du roman, c’est peut-être le seul acteur du film qui peut susciter une adhésion complète sans ressentir de décalage avec la perception que l’on peut se faire des protagonistes à la lecture de Dumas…on pourrait ajouter aussi Anaïs Demoustier, qui nous sert la prose du romancier avec des intonations qui subjuguent, pour un personnage tout en sobriété, qui jamais ne surjoue, mais puissamment émouvant. Du pur Anaïs Demoustier en somme, dont un trait typique est sa capacité à émouvoir sans jamais surjouer. Les autres acteurs forment une belle troupe pour le film, on a bien aimé Patrick Mille, détestable au possible comme il se doit pour le personnage du cupide Danglars ; la gêne cependant nous vient dans le fait que qu’Alexandre de la Patellière et Matthieu Delaporte ont inventé ici un personnage de marin vieux loup de mer, alors que Dumas avait créé un simple comptable, certes embarqué dans l’activité d’un armateur et ses bateaux. Alors, ses tatouages de marin, créés de toute pièce et montrés de façon ostentatoire dans le film nous gênent. Le jeune Vassiliu Schneider dans un Albert de Morcef, au physique d’Appolon et au jeu expressif à se faire pâmer les jeunes dames, est excellent. Cela étant dit, le jeune Morcef a bénéficié d’un embellissement de son personnage qui dans le livre, ne casse pas des briques. On n’est moins convaincu par Laurent Lafitte, dont la prestation est tout à fait honorable, mais dont le personnage colle moins à notre idée d’un procureur froid et calculateur aux intonations tout aussi désincarnées dans le livre (tel que Dumas nous les décrits, à défaut de les entendre) ; Laurent Laffite a selon nous trop d’épaisseur et un côté charnel et puissant qui choque notre image du personnage qu’on aurait vu fluet. Fernand, lui, nous est livré comme un proche d’Edmond Dantès et de Mercedes, au port aristocratique d’emblée. Ce n’est pas du tout la réalité du personnage de Dumas. Quel a été le but des réalisateurs ici en inventant cette promiscuité de jeunesse ? Promiscuité que l’on retrouve dans d’autres relations, y compris 17 ans plus tard quand débarque le Comte de Monte Cristo ; on pense là à la scène ou le Comte joue au carte avec ses ennemis jurés. Peut-être pour créer un lien émotionnel entre les personnages. D’un point de vue géographique, le roman de Dumas est construit sur un triptyque : Marseille – Rome – Paris. Les réalisateurs ont fait l’impasse totale sur l’Italie et ses belles scènes avec des bandits. Tant pis, il fallait bien faire des choix. Pour la chronologie, il est impossible de traduire le rythme du roman en 3 heures de film. Dans le film, tout passe très vite : la détention d’Edmond au château d’If, alors que le développement de sa relation avec l’abbé Faria et les enseignements qu’il en tire sont capitaux. Tout s’accélère dans le film pour une dernière partie en bouquet final ; dans le roman, tout se construit jusqu’au bout et implacablement, sans précipitation, et parfois même de la lenteur nécessaire aux ficelles de la vengeance fomenté par Edmond Dantès. Venons en au plus gros manque que l’on a ressenti dans ce film en raison de l’absence d’un « personnage » essentiel : la pharmaco-toxicologie ! Elle est essentielle dans le roman, du début à la fin. Comme précisé précédemment, l’abbé Faria au Château d’ If enseigne pendant une décennie à Edmond Dantès tout un savoir encyclopédique dont scientifique, complètement occulté dans le film, faute de temps. Le fait que votre critique soit pharmacologue de formation n’arrange certes rien et apporte une appréciation subjective, il faut le reconnaître… Mais ces savoirs sont clés car ils sont omniprésents dans l’ intrigue et des éléments décisifs de la recette de vengeance du Comte de Monte Cristo. Féria enseigne à Dantès l’ usage de remèdes et d’ antidotes. Il apprendra ainsi à maîtriser « l’art » de l’ empoisonnement au point d’ élucider des actes criminels en la matière. Car dans l’histoire d’Alexandre Dumas, il y un  » serial killer » par empoisonnement au sein de la famille Villefort. Tout ce pan a disparue dans ce film On regrettera l’ occultation de l’ histoire d’ amour entre Maximilien Morrel et Valentine de Villefort, et le rôle central de son grand-père, « bon papa Noirtier », père du traître procureur du roi. Paralytique, malgré son syndrome « locked-in », il échappera à la tentative de meurtre, de même que sa petite fille… grâce à la maîtrise de la pharmaco-toxicologique comme arme dressé contre le meurtrier . Reconnaissons que Noirtier, personnage extrêmement puissant qui nous a manqué, n’était pas un rôle facile à retranscrire à l’écran, le paralytique ne s’exprimant que par le regard et le clignement des yeux. Il en résulte que la belle histoire d’amour de Maximilien et Valentine a été remplacée par l’invention de celle d’Albert et Haydée. Y gagne-t-on au change ? Lisez ou relisez Alexandre Dumas !

Hôtel L’Edmond, avenue de Villiers
Monument Alexandre Dumas, place du Général Catroux
Crédit 3 photos : Guegen, Paris 13/09/2024 – Copyright
Le Café Dumas, avenue de Villiers


« Le Comte de Monte Cristo » de Alexandre de la Patellière et Matthieu Delaporte, avec Pierre Niney, Patrick Mille, Bastien Bouillon, Anaïs Demoustier, Laurent Lafitte, Anamaria Vartolomei, Vassili Schneider, Julien de Saint-Jean- durée 2h53 – Sortie : 28/06/2024

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