Jean-Louis Murat est mort
Il faut l’écrire pour le croire. Pour moi c’est comme le lion est mort, ce soir. Si puissant, solide comme un roc, si prolifique, si profond, de corps et de voix chaude et lancinante comme celle d’un saxophone. L’impensable est arrivé, sans prévenir.
Comme beaucoup je l’avais découvert dans le duo « Regrets » avec Mylène Farmer, dans les années 1980. Il y avait un clip, de toute beauté, en noir et blanc. Il y prenait le train pour un rendez-vous au cimetière avec sa disparue. Là je me sens dans sa peau.
Je trouvais qu’il faisait un peu chanteur pour midinette. Mais dans la foulée, comme beaucoup aussi, j’avais découvert l’album « Cheyenne Automne« , que j’avais adoré : profond, nostalgique, pour les morceaux aux arrangements particulièrement travaillés et réussis, dont le titre éponyme dont je me souviens, et d’autres. Des mots poétiques vertigineux, et cette voix de saxophone, retrouvée !
Et puis j’ai oublié l’artiste, pour d’autres passions musicales.
Ce n’est que 15 ans plus tard que j’ai tout découvert. Un ami m’a fait plonger dans tout ce que j’avais raté. Tant d’albums, tant d’univers, tant de poésie, tant d’inspirations.
Je me suis mis à l’écouter comme un drogué de sa poésie, à aller voir ses concerts. En solo avec des guitares, ou avec des musiciens dans des ambiances électriques. Dans des petites salles de Paris et alentours. Je me souviens d’une prestation dans une salle de la capitale, il était venu avec sa guitare, arrimée à lui, concentré sur elle il levait à peine les yeux sur le public. Il avait fait son show comme juste pour son instrument et lui, se fichant des spectateurs.
Je me souviens de lui dans une petite salle municipale de banlieue, a capella avec ses guitares, une session très intime en 2008 pour l’album Tristan, si élégant, à la noblesse médiévale.
Et puis tant d’accompagnement musical en voiture, avec Jean-Louis Mural, pendant des années. C’était comme du Kerouac, c’était un vrai compagnon de route, Sur la Route avec Jean-Louis, de son vrai nom Bergheaud. Murat était son nom d’artiste, en l’honneur de Murat-le-Quaire dans le massif volcanique des Mont Dore e où ses grands parents avaient une ferme isolée et où il passait beaucoup de temps.
Les albums Mustango, Lilith, Taormina, Dolorès, Mockea, A bird on a Poire, incroyables duos avec la chanteuse américaine Jennifer Charles, Le cours ordinaire des choses, Babel avec le Delano Orchestra… quel enchantement, m’ont marqués à vie. Ma playlist Murat – très sélective – ne dure pourtant pas moins de 7 heures. Quelques morceaux nouveaux venaient l’allonger de temps à autres au gré des albums qui sortaient implacablement au moins une fois par an. Elle est désormais figée…
Il savait raconter l’amour, la tourbillons des sentiments et leurs affres aussi, et puis le rapport à la nature comme personne.
Ses coups de gueules à la télé sont mémorables. Je n’ai jamais oublié cette réplique :
«Vous êtes les pourris de la presse. « Mon cher Ruquier, cette dame est très gentille mais elle devrait dégager. Elle n’a rien à foutre ici. »
dans l’émission On n’est pas couché en 2006, à l’adresse de Laurence Pieau la journaliste du magazine people Closer (extrait vidéo ci-dessous).
Il nous quitte la veille de la sortie de son best-off de toute une carrière, n’est-ce pas l’ultime provocation ?
Tellement entier, tellement puissant, tellement vrai, solide comme un roc, fils d’une famille de paysans fidèlement enraciné avec eux dans son Auvergne natale.
Il était un immense poète et musicien, très loin du star-system et de l’industrie de la musique qu’il avait rejeté très pour faire l’artiste pour de vrai. Incorruptible.
Je ne lui ai jamais parlé, j’ai juste cette publication sur Instagram que j’avais faite anonymement en janvier 2020, il l’avait appréciée à mon étonnement car on s’en doute, ce n’était pas le genre ni à publier ni à « liker » quoi que ce soit sur un profil laconique de réseau social.
Ce soir, j’ai dû mal à y croire. Perdre Jean-Louis Bergheaud, mon fidèle compagnon génie de la musique et des mots, tellement ancré dans les émotions de mon quotidien depuis si longtemps et toujours renouvelé, c’est perdre une partie de mon parcours et de ma route devant.
mon amour est-il dans son quartier de lune
mon amour veut-il faire un tour dans l’au-delà
mon amour a-t-il mis ses habits de fête
mon amour veut-il faire un tour dans l’au-delà
Que gronde l’orage
entre les rochers
mourir en montagne
mourir foudroyé
mon âme cette chienne
cette enragée
c’te pie musicienne
va pas la fermer
Extrait de L’au-delà, Jean-Louis Murat, 2002
Image d’en-tête : capture écran clip ‘L’ange déchu » 1989
Cet article GRATUIT de journalisme indépendant à but non lucratif vous a intéressé ? Il a pour autant un coût ! Celui de journalistes professionnels rémunérés, celui de notre site internet et d’autres coût nécessaire au fonctionnement de la structure. Qui paie ? nos lecteurs uniquement pour garantir notre ultra-indépendance. Votre soutien est indispensable.
Science infuse est un service de presse en ligne agréé (n° 0324 x 94873) piloté par Citizen4Science, association à but non lucratif d’information et de médiation scientifique.
Notre média dépend entièrement de ses lecteur pour continuer à informer, analyser, avec un angle souvent différent car farouchement indépendant. Pour nous soutenir, et soutenir la presse indépendante et sa pluralité, faites un don pour que notre section presse reste d’accès gratuit, et abonnez-vous à la newsletter gratuite également !
ou via J’aime l’Info, partenaire de la presse en ligne indépendante