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« Médecines » douces, alternatives : l’Ordre des médecins dresse un état des lieux des dérives des pratiques de soins non conventionnelles

Nous revenons sur le rapport paru le 27 juin pour une synthèse, alors qu’avait lieu hier une première réunion de réflexion à ce sujet au ministère de la Santé qui a invité « Agence des MCA »dont l’illégitimité et le danger sont dénoncés dans ce rapport

C’est un rapport de près de 100 pages que nous avons consulté. Il présente un état des lieux des Pratiques de soins non conventionnelles (PSNC) et des recommandations d’action.

« Les Pratiques de soins non conventionnels (PSNC) ne sont ni reconnues, au plan scientifique, par la médecine conventionnelle, ni enseignées au cours de la formation initiale des professionnels de santé« , expose l’Ordre des médecins. Or elle sont en plein essor, peuvent présenter des dangers. Faire un tri est nécessaire pour distinguer les pratiques dangereuses et ce qui peut aider les malades et « les restreindre au seul domaine du bien-être. Si chacun est libre d’envisager la prise en charge de sa santé et de son bien-être, ce libre choix doit être éclairé et exercé en connaissance de cause. Ce qui est l’objectif de ce rapport. »

Voilà pour le contexte et la justification.

Il convient de rappeler ce qu’est une PSNC, qui est le terme choisi pour les réflexions en cours, sachant qu’elle était déjà utilisé par le ministère de la Santé. Cela représente tout ce qu’on nomme couramment sous le nom de « médecines » complémentaires, alternatives, naturelles, douces. À noter que le rapport omet « intégratives » également utilisé, peut-être parce qu’il est utilisé dans des CHU reconnus. On pense à l’IMIC de Bordeaux.

Selon le ministère de la Santé, le point commun des PSNC est qu’elles ne sont « ni reconnues au plan scientifique par la médecine conventionnelle, ni enseignées au cours de la formation initiale des professionnels de santé.« 

C’est une double exclusion qui est donc incluse dans la définition et amène à accepter des pratiques non éprouvées ou insuffisamment éprouvées donc sans base scientifique au prétexte qu’elles sont enseignées aux professionnels de santé. Cela a pour effet de faire perdurer en médecine « conventionnelle » l’homéopathie et l’acupuncture par exemple, réservées à la pratique des médecins.

L’Ordre rappelle que le public se renseigne désormais sur internet et que l’information sur les PSNC foisonne y compris via des professionnels de santé autoproclamés. Il considère que parfois pour les patients, les PSNC peuvent paraître plus personnalisés que la médecine conventionnelle répondant à des protocoles plus standardisés.

Il considère que certains procédés thérapeutiques sont appelés à tort PSNC car ont fait l’objet d’évaluations au fil du temps et sont

  • soit réservés soit aux seuls professions médicales, comme l’acupuncture. Rappelons que cette pratique est réservés aux professions médicales, la formation est acquise à l’origine par DIU puis une capacité. Un médecin ne peut exercer exclusivement l’acupuncture, considérée comme une « orientation médicale » et non une spécialité ;
  • soit les textes différencient le champs de compétence entre les professionnels de santé et les non professionnels de santé pouvant les proposer, comme l’ostéopathie et rappelant que certains actes d’ostéopathie relèvent exclusivement de la médecine. L’ostéopathie relève d’un titre utilisable professionnellement par d’une part les professionnels de santé suivants : médecins, sage-femmes, kinésithérapeutes et infirmiers, d’autre part par les titulaires d’un diplôme délivré par un établissement agréé. L’offre de soins est assez sauvage, avec des praticiens qui offrent leurs services sur internet sans diplôme agréé ainsi qu’une offre formation à l’ostéopathie par des structures non agréées. Les personnes non professionnels de santé listés précédemment et sans titre délivré par un organisme de formation agréé proposant des actes d’ostéopathie se livrent à l’exercice illégal de la médecine, de même que celles avec un titre valable mais se livrant à des actes réservés aux médecins : manipulations gynéco-obstétricales ; touchers pelviens ; prise en charge des pathologies organiques qui nécessitent une intervention thérapeutique, médicale, chirurgicale, médicamenteuse ou par des agents physiques ; en cas de symptômes justifiant des examens paracliniques.

État des lieux des PSNC

Il est difficile de quantifier leur usage particulièrement du fait que ces pratiques non conventionnelles ne sont pas bien décrites et listées.

Le rapport fournit cette infographie quantitative :

Qualitativement, il y a de tout. Le rapport propose la sélection suivante à titre d’exemple sur la base de signalements et interrogations faites au Conseil de l’Ordre des médecins, soit environ 1 700 en 2022 :

Raisons de l’essor des PSNC

L’Ordre évoque des causes multifactorielles : la pénurie d’offre de soins, avec le problèmes des déserts médicaux. Ainsi par le simple principe des vases communicants, pénurie d’offre médicale entraîne recours aux offres de soins non médicales : les PSNC. Une autre cause est la crise sanitaire du Covid-19 avec l’arrivée de faux experts, des experts autoproclamés qui ont attisé la méfiance dans la médecine traditionnelle (par exemple avec les nouveaux vaccins contre le Covid) et détourné des patients vers les PSNC. Les confinements ont en outre aidé à puiser dans l’offre de soins sur internet où l’on trouve beaucoup de contenus sur les PSNC. Dans la même dynamique, il y a eu beaucoup de publicité pour se former aux PSNC et en faire une activité professionnelle. D’un point de vue sociétal, la crise sanitaire mais aussi économique, la guerre aussi, les inquiétudes sur l’environnement et le climat, favorisent l’anxiété et les pratiques de bien-être sont présentées comme une solution notamment méditation, hypnose, sophrologie, naturopathie, reiki, etc. Il y a aussi toute la « mouvance bio » et « naturel » avec de nombreux salons. Elle est selon la Miviludes vectrice de dérives thérapeutiques et d’emprise mentale. On médiatise beaucoup en ce moment la naturopathie et l’affaire Thierry Casasnovas, gourou du naturel.

Enseignement académique des PSNC

On trouve des enseignements de PSNC, malgré l’absence d’assise scientifique, dans les facultés de médecine au programme de la formation des professionnels de santé. Il y a également des diplômes universitaires et des formations complémentaires ouvertes aux non professionnels de santé dans les facultés de médecine. Exemples : DU en médecine traditionnelle chinoise, d’auriculothérapie, et même formations complémentaires en médecine anthroposophique qui est basée sur les préceptes ésotériques de Rudolf Steiner et conduit à des dérives sectaires : il existe des écoles dès le plus jeune âge basées sur les théories de Steiner qui endoctrinent les enfants.

L’Ordre veut se rapprocher des Doyens des facultés de médecine à ce sujet avec la double problématique : les non professionnels de santé peuvent indiquer sur leur plaque professionnelle ou site internet un diplôme de la faculté de médecine, source de confusion pour les patients, et les médecins peuvent proposer des PSNC sans validation scientifique.

Intégration des PSNC dans le parcours de soins conventionnel

C’est déjà le cas, notamment en cancérologie. Les soins de support font partie intégrante du parcours thérapeutique. L’Ordre ne réfute pas l’usage de PSNC avec des bénéfices pour les patients. Il y a donc tout un « panier » de soins PSNC acceptables, mais l’Ordre pense qu’il faut quand même un certain niveau de preuves d’efficacité (en parlant de survie pour la cancérologie), et parle d' »empowerment » avec ces PNCS, c’est-à-dire l’autonomisation des patients grâce à elles pour leur prise en charge. Il cite Santé Publique France qui défend ce principe d’autonomisation. Le rapport présente à ce titre le schéma suivant :

Encadrer pour combler le vide juridique des PSNC

L’absence de cadre est un problème, explique le rapport. Étant donné l’essor des PSNC, il y a des attentes auxquelles ils faut répondre et il convient donc de dresser un cadre plus strict qu’à l’heure actuelle y compris sur le contenu des formations. Les formations « bien-être » et « développement personnel » sont dans le collimateur, n’étant pas reconnues par l’État et pouvant mettre le médecin en infraction. L’Ordre considère aussi que proposées aux médecins. Sont évoquées à titre d’exemples les pratiques : : hijama ; médecine du ciel ; magnétiseur ; médecine traditionnelle chinoise ; lithothérapie. Elles peuvent mettre en infraction d’autres professionnels de santé et des non professionnels de santé. Là, le spectre de l’exercice illégal de la médecine surgit, en particulier avec toutes les formations proposées sans condition particulière à tout public, qui aboutissent à des « thérapeutes autoproclamés ». Il faut aussi rappeler que du côté enseignement de la médecine, la loi stipule qu’il ne peut être fait que par des docteurs en médecine.

L’Ordre propose ici de revisiter le code ROM, un référentiel conçu par Pôle Emploi pour l’ensemble des métiers regroupés par fiches détaillées avec conditions d’accès au métier. Il pointe tous les métiers du développement personnel et bien-être de la personne et des professions comme conseiller en aromathérapie / herboristerie / auriculothérapie / bioénergie / iridologie…). Faut-il les maintenir sans cadre réglementaire ? questionne le rapport.

Il n’existe pas d’organisme d’évaluation et de contrôle des PSNC. Il y en au eu un pourtant, le Groupe d’appui des techniques (GAT) PSNC créé par la Direction générale de la santé (DGS) en 2009, dissous en 2015. Y participaient de nombreux organismes comme la Miviludes, l’ANSM, la SGS, le CNOM, le ministère de la Justice, l’Académie nationale de Médecine. Son travail a permis d’établir 9 fiches à l’attention du public sur Acupuncture, Auriculothérapie, Biologie totale, Chiropraxie, Fish pédicure, Hypnose, Jeûne à visée préventive ou thérapeutique, Mésothérapie, Ostéopathie.

A-MCA ou l’entrisme d’une association illégitime et dangereuse

Le rapport de l’Ordre pointe ‘Agence des MCA’ (« Médecines complémentaires et alternatives« , rebaptisé récemment « Médecines complémentaires et adaptées« ), considérant que cette structure associative s’est engouffrée dans le vide d’encadrement sur les PSNC. Il l’évoque comme un « groupe de personnes autoproclamées spécialistes des PSNC. » L’Ordre est choquée qu’une association prenne le nom « Agence », semant la confusion, et met en doute la légitimité des membres de cette association agissant en toute autonomie. Il ne lui a pas échappé la présence de praticiens de disciplines non validées scientifiquement, comme la technique « MindFullness » et le Qi Jong médical parmi d’autres.
C’est pourquoi l’Ordre propose d’aller vite dans la création d’un organisme d’évaluation des PSNC.

L’idée est donc de combler le vide juridique pour éviter la prolifération de « professionnels » aux pratiques douteuses et trompeuses, pouvant mener à l’exercice illégal de la médecine et à des dérives thérapeutiques et sectaires.

Exercice illégal de la médecine

Seules les professions de santé disposent du droit de conseil et certaines d’entre elles de prescription, que le médicament soit en vente libre ou qu’il nécessite la présentation d’une ordonnance au pharmacien. Les caractéristiques de l’exercice illégal de la médecine sont : Défaut de qualité de l’auteur, Exécution d’un acte médical, Établissement d’un diagnostic, Proposition d’un traitement, Habitude des faits, Élément intentionnel.

Le rapport évoque à titre d’exemple des thérapeutes autoproclamés qui estiment pouvoir prescrire de l’homéopathie parce qu’elle est déremboursée (depuis 2021, son inefficacité ayant été reconnue par le gouvernement sur la base de l’avis de la Haute autorité de santé). Or, il s’agit légalement de médicaments (car présentés comme tels), qu’ils soient efficaces ou pas. L’homéopathie n’est pas une spécialité médicale, et il est même interdit d’indiquer « orientation en homéopathie » dans son titre, ce qui a été le cas antérieurement (1974). Personne ne peut donc prescrire ou conseiller un traitement homéopathique hors respectivement médecin ou pharmacien, il s’agirait d’exercice illégal de la médecine.

Dérives thérapeutiques

Elles se caractérisent par l’utilisation de PSNC aboutissant à la mise en danger des patients, du fait de la non validation scientifique des pratiques et/ou par leur substitution à la médecine conventionnelle (perte de chance). Elles sont indépendante de la qualité de l’auteur : professionnel de santé ou non. À la clé : perte de chance, mise en danger, abus de faiblesse, escroquerie. Il y a ici une notion d’utilisation des PSNC à mauvais escient et souvent une ’emprise mentale est impliquée dans le processus.

Dérives sectaires

Elles découlent de l’emprise mentale. Elles sont très présentes dans le domaine de la santé, particulièrement avec les PSNC. C’est le principal motif des signalements auprès de la Miviludes. Il y a un processus d’endoctrinement dans le mouvement sectaire en question, avec trois phases : l’approche, la séduction et enfin la soumission.
Pour les PSNC, on constate souvent les discours récurrents suivants dans les processus sectaires, qui doivent mettre la puce à l’oreille : l’approche médicale n’est pas suffisante, elle ne prend pas en charge la spiritualité et la psychologie, il faut une approche « holistique », l’industrie pharmaceutique a mis la santé publique sous son emprise (complotisme « Big Pharma »), l’appel à la nature qui offrirait toutes les solutions de soins nécessaires à la bonne santé ou pour la retrouver. Le rapport évoque aussi l’offre de soins déficiente sur le territoire, mais cela semble plus être un fait objectif qu’un discours discutable sur le fond.

Il est donc important de sensibiliser le public aux techniques et caractéristiques des dérives sectaires, afin qu’il appréhende avec prudence ce qui peut être proposé. En particulier tout remède ou technique miraculeuse doit susciter méfiance.

Actions du CNOM

Un chapitre du rapport est dédié aux actions du CNOM en lien avec les PSNC. Il s’articule autour de 5 aspects : le traitement des signalements par le CNOM en lien avec les instances compétentes, entraînant des procédures ordinales quand des professionnels de santé sont concernés, ou judiciaires pour les autres, y compris exercice illégal de la médecine. Un deuxième aspect concerne la protection du terme de médecine et de docteur, dont nous avons déjà parlé y compris dans un article dédié. Les autres aspects sont le contrôle des formations en particulier celles proposées à des non professionnels de santé, principalement bien-être, entraînant dangers et risques de dérives thérapeutiques et sectaires, l’information essentielle à destination des patients, et l’alerte sur ‘Agence des MCA’, cette association illégitime.

Sur ce dernier point, qui est également un « combat » de l’association Citizen4Science, le CNOM indique avoir adressé le 12 novembre 2020 une lettre au ministre de l’Intérieur, au ministre de la Santé et au ministre de l’Enseignement supérieur pour partager son inquiétude vis à vis de la création de cette association toute récente à l’époque (quelques semaines). Il n’a eu aucune retour, et il a adressé un courrier en avril 2021 au Premier ministre. L’Ordre voit un danger dans cette A-MCA et pense qu’elle n’est pas légitime pour accomplir son ambition d’être une agence gouvernementale.

Résumé : 7 points d’action

Tout d’abord la terminologie, que nous avons spécialement évoqués hier : il s’agit d’encadrer et protéger les termes « médecine » et docteur » et pour cela modifier la loi afin qu’ils ne soient pas utilisés de façon ambiguë, trompant les consommateurs de soins sur la qualité et la formation des praticiens non professionnels.

Une action de sensibilisation dans les facultés de médecine est proposé, notamment auprès des doyens en raison de l’entrisme des PSNC.

Pour la formation professionnelle, l’Ordre demande à ce que soit revisité le code ROME et que des procédures de contrôle des formations soient mises en place. L’Ordre se propose lui-même d’agir en concertation avec la Miviludes et la DRIEETS principalement sur le risque d’exercice illégal de la médecine associé à certaines formations, notamment pour les personnes qui se dirigent vers elles dans le cadre d’une reconversion.

L’Ordre appuie l’annonce en mars 2023 de la ministre Agnès Firmin-Le Bodo de remettre en place le GAT PSNC.

Une proposition vise à contrer l’ambition de l’association ‘Agence des MCA’ de devenir une agence d’État autoproclamée. Pour cela l’Ordre propose la mise en place d’un organisme d’évaluation de contrôle des PSNC. Il y va de l’intérêt et de la santé des patients, précise l’Ordre.

L’Ordre des médecins propose aussi des partenariats du CNAM avec les instances concernées pour la préservation de la santé publique, et enfin une information régulière des médecins et des patients pour laquelle l’Ordre serait mobilisée.

Image d’en-tête : illustration du rapport « Les pratiques de soins non conventionnelles et leurs dérives » – objet de cet article


Pour aller plus loin

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