La fin du médecin traitant ? une remise en cause symptomatique des blocages de l’accès aux soins en France
La proposition des Républicains (LR) de supprimer le statut de médecin traitant, instauré en 2004, relance le débat sur l’organisation des soins primaires en France. Alors que de moins en moins de Français disposent d’un médecin référent, ce dispositif inéquitable semble perdre de sa pertinence à l’heure du dossier médical partagé et des débats sur la régulation de l’installation des médecins. Cette remise en cause révèle les tensions profondes du système de santé, marquées par le conservatisme du lobby médical, qui s’oppose à des réformes structurelles tout en défendant des privilèges d’un autre temps, comme le secteur 2.
Entre résistances corporatistes et propositions inadaptées, l’avenir des soins primaires reste incertain. Instauré en 2004 dans le cadre de la réforme de l’assurance maladie sous la houlette de Philippe Douste-Blazy, le principe du médecin traitant visait à structurer le parcours de soins des patients. Ce dispositif, obligatoire pour les consultations remboursées à taux plein, devait garantir une meilleure coordination des soins, réduire les consultations inutiles et désengorger les spécialistes. À l’époque, 95 % des Français déclaraient avoir un médecin traitant, souvent un généraliste, et le système semblait répondre aux besoins d’une population vieillissante nécessitant un suivi régulier.
Déclin progressif
Vingt ans plus tard, le tableau est bien différent. Selon les chiffres de l’Assurance maladie, en 2023 environ 10 % des Français de plus de 16 ans, soit près de 6 millions de personnes, n’ont pas de médecin traitant. Ce chiffre grimpe à 20 % dans certaines zones rurales ou périurbaines, où les déserts médicaux s’étendent. Les causes sont multiples : départs à la retraite massifs de médecins, manque d’attractivité de la médecine générale, et absence de régulation de l’installation des praticiens, qui privilégient les zones urbaines déjà bien dotées. Le dossier médical partagé (DMP), censé fluidifier la transmission des informations entre soignants, n’a pas compensé ce vide, en raison d’une adoption inégale et d’une ergonomie critiquée.
La remise en cause par LR
Face à cette situation, Les Républicains, dans une proposition portée par plusieurs députés en octobre 2024, suggèrent de supprimer purement et simplement le statut de médecin traitant. Pour eux, ce système est devenu obsolète, contraignant pour les patients et inefficace face à la pénurie de médecins. Ils plaident pour une liberté accrue d’accès aux soins, où le patient pourrait consulter directement un spécialiste ou un autre généraliste sans passer par un référent. Cette idée, bien que séduisante pour certains, soulève des questions : comment assurer la coordination des soins sans figure centrale ? Le dossier médical partagé (DMP), encore sous-exploité, peut-il vraiment remplacer le rôle de pivot du médecin traitant ?
Un dispositif dépassé ?
À l’heure où la santé numérique progresse, le concept de médecin traitant semble appartenir à une autre époque. Le DMP, bien que perfectible, permet théoriquement à tout soignant d’accéder à l’historique médical d’un patient. Par ailleurs, la montée en puissance des maisons de santé pluridisciplinaires et des centres de santé change la donne : les patients consultent souvent plusieurs professionnels au sein d’une même structure, rendant le rôle de « référent » moins évident. Dans ce contexte, imposer un médecin traitant peut apparaître comme une contrainte bureaucratique, surtout pour les jeunes générations habituées à une médecine plus flexible.
Les dangers d’une suppression brutale
Cependant, supprimer le médecin traitant sans alternative claire pourrait aggraver les inégalités d’accès aux soins. Dans les zones sous-dotées, les patients risquent de se tourner vers des urgences hospitalières déjà saturées, comme le montre une étude de la DREES de 2022, qui relève une hausse de 15 % des passages aux urgences pour des motifs relevant de la médecine générale. De plus, la coordination des soins pour les patients chroniques, qui représentent 60 % des consultations en médecine générale selon la HAS, reste un défi majeur. Sans médecin traitant, le risque est celui d’une fragmentation des parcours de soins, avec des conséquences sur la qualité et le coût des prises en charge.
Conservatisme du lobby médical : l’exemple du secteur 2
La remise en cause du médecin traitant s’inscrit dans un débat plus large sur la régulation de l’installation des médecins, une mesure réclamée par de nombreux élus pour lutter contre les déserts médicaux. Pourtant, le lobby médical, représenté notamment par les syndicats et dans la problématique évoquée la Conférence des doyens des facultés de médecine, s’y oppose farouchement. Lors de leur dernière réunion en septembre 2024, les doyens ont réitéré leur préférence pour des incitations financières à l’installation, une stratégie pourtant jugée inefficace par plusieurs rapports. La Cour des comptes, dans un rapport de 2021, estimait que les aides à l’installation, représentant 200 millions d’euros par an, n’avaient que marginalement réduit les inégalités territoriales.
Plus de secteur 2 comme fausse solution
Pire, les doyens ont proposé d’offrir l’accès au secteur 2 (honoraires libres en dépassement) comme incitation pour attirer les médecins dans les zones sous-dotées. Cette proposition est d’autant plus surprenante que le secteur 2 est régulièrement critiqué pour son impact sur les inégalités d’accès aux soins. Selon un rapport de la HAS de 2022, les dépassements d’honoraires, pratiqués par 25 % des spécialistes, aggravent le renoncement aux soins, notamment pour les ménages modestes. La Cour des comptes, dans un rapport de 2023, recommandait même la suppression progressive du secteur 2, le jugeant « anachronique » dans un système visant l’universalité.
Une tribune déconnectée dans Le Monde
Cette déconnexion du lobby médical a été illustrée par une tribune publiée dans Le Monde en avril, où un collectif de médecins proposait, à l’instar de la dernière conférence des doyens de médecine, de limiter la régulation de l’installation aux praticiens en secteur 2. Cette idée, présentée comme un compromis, ignore un point crucial : le secteur 2, voué à être progressivement fermé selon les recommandations des autorités sanitaires, ne peut constituer une base pour une politique d’installation. Cette proposition, loin de répondre aux besoins de santé publique, semble avant tout destinée à préserver les intérêts financiers d’une minorité de praticiens.
Au final, la proposition de supprimer le médecin traitant, bien que critiquable dans ses modalités, a le mérite de poser la question de l’adaptation du système de santé aux réalités contemporaines. Cependant, elle se heurte à un obstacle majeur : le conservatisme du lobby médical, qui continue de défendre des acquis datés, comme le secteur 2, au détriment de l’intérêt général. Alors que les déserts médicaux s’étendent et que les inégalités d’accès aux soins croissent, les solutions proposées par les instances médicales restent déconnectées des besoins réels des patients. Ce corporatisme, typique d’une certaine France, freine les réformes nécessaires pour garantir un système de santé équitable et efficace. À l’heure où la santé publique exige audace et vision, le coroporatisme médical semble, plus que jamais, un frein aux solutions.
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