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Le bonheur conjugal de Léon Tolstoi au théâtre Poche Montparnasse

Il faut au fond si peu pour qu’opère la magie du théâtre : une toile peinte représentant une futaie de jeunes bouleaux émergeant d’une terre rude, un quart de queue ouvert sur lequel on joue du Beethoven, la longue silhouette emmitouflée d’Anne Richard qui s’éclaire d’une simple lanterne, et nous voilà dans une isba, au fin fond de l’hiver russe.

C’est là, dans cette isba, que vit Macha, dix-sept ans à peine et déjà en deuil de ses parents. A quoi donc rêve une jeune fille dans le décor monotone de l’immense campagne russe ? A l’amour, bien entendu. A une autre vie qui lui permettrait de changer sa vie, à un ailleurs qui lui permettrait de fuir l’ici. Et même si les aspirations de Macha la porteraient plutôt vers de jeunes éphèbes longilignes et mélancoliques, c’est du vieux voisin, Serge Mikhaïlovitch, qu’elle va s’éprendre. Certes, en plus de son âge, il est bedonnant, un peu rustre, sans manière et pas des plus attirants, mais elle a besoin, elle, Macha, de sortir de l’immobilisme de son quotidien. Et puis, à dix-sept ans, en Russie, au milieu du XIXè siècle, une jeune fille ne peut que se marier. Elle le doit.

Aux côtés d’Anne Richard, éblouissante et magistrale de sensibilité et de véracité, le talentueux Nicolas Chevereau ponctue le récit d’extraits de la sonate numéro 13 en mi bémol majeur, opus 27 no 1, surnommée  « Sonata quasi una fantasia », ainsi que du premier mouvement de la sonate jumelle, la numéro 14, dit « clair de lune ». Non seulement ce choix était une évidence, puisqu’on connaît l’admiration profonde de Tolstoï pour l’œuvre de Beethoven, mais il semble une admirable mise en valeur du texte. Dans la sonate numéro 13, Beethoven alterne perpétuellement l’acide légèreté de ses influences mozartiennes et les martiales audaces harmoniques qui constitueront plus tard sa marque de fabrique. Un peu comme Anne Richard qui, tout le long du spectacle, alterne la voix fragile et tendre de la jeune Macha et celle rocailleuse et brutale du vieux Serge Mikhaïlovitch.

Dans l’ombre, tout près de la comédienne et du pianiste, Jean-François Balmer tient le rôle muet du vieillard Serge Mikhaïlovitch, silhouette tout à la fois de père et de maître, d’ami et d’exploiteur. Bref, le rôle masculin.

On sait le pessimisme profond de l’auteur d’Anna Karenine en ce qui concerne les sentiments humains, et, tout particulièrement, le sentiment amoureux. Le « bonheur conjugal », son héroïne, Macha, va le connaître durant quatre années à peine. Le sentiment d’exaltation et de plénitude n’est qu’un souffle léger, et, dès la première année, il cède la place à l’ennui. Le reste est une question d’enfants, de famille, de biens, de concessions. Mais pas de bonheur.

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