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Fonds Marianne de Marlène Schiappa : Les rapports du Sénat et l’IGA, accablants, sont tombés, ils évoquent gâchis d’argent public et la nécessité impérieuse d’une refonte des subventions aux associations

Le rapport de la commission d’enquête parlementaire dirigée par le sénateur Jean-François Husson est paru le 6 juillet, de même que le second rapport de l’Inspection générale de l’administration. Nous vous livrons les points de synthèse de ces rapports

Nous vous avions fait part d’une synthèse de notre lecture du premier rapport de l’inspection général de l’administration il y a tout juste un mois, dont le champ n’était qu’une partie des attributions financières du fonds, la principale à l’association USEPPM et qui dénonçait déjà une initiative particulièrement opaque dans sa définition et son processus pour des résultats inférieurs à toute attente raisonnable. Aujourd’hui, le second rapport de l’IGA confirme le premier et conjointement avec le rapport parlementaire enfonce le clou sur un fiasco du début à la fin, amenant à préconiser une refonte totale du système de subventions aux associations. On pointera particulièrement l’irresponsabilité des politiques, parmi lesquels Marlène Schiappa est au premier plan . Mais : responsable in fine ou elle-même le résultat d’une organisation gouvernementale questionnable ?

Genèse du fonds Marianne

La création est annoncée en avril 2021 par Marlène Schiappa alors ministre déléguée chargée de la citoyenneté auprès du ministère de l’Intérieur. Il s’agit de financer des actions en ligne pour défendre les valeurs de la République et répondre au séparatisme, en réaction à l’assassinat de Samuel Paty.
Le rapport du Sénat voit cette initiative pensée comme une « opération de communication » via un « contre-discours républicain » sur les réseaux sociaux. Le fonds Marianne se doit d’être une réponse sociétale via des associations « dont le discours ne serait pas directement identifié comme provenant de l’État ».

Christan Gravel, ancien secrétaire général du CIPDR (Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation en charge de la gestion du fonds Marianne), et qui a démissionné suite à la divulgation du rapport initial de l’IGA en juin, justifiait : « ‘L’État fait appel au secteur associatif parce que la parole publique est inaudible auprès des personnes les plus vulnérables aux processus de radicalisation. Conséquence d’une crise durable de l’autorité, ce discrédit est aujourd’hui aggravé par le déploiement exponentiel des thèses complotistes sur internet. » Il le décrivait également comme « un label de communication« .

Montant des subventions accordées aux 17 associations au titre du fonds Marianne :

infographie tirée du rapport du Sénat

On notera, comme le met en exergue le rapport du Sénat, que le SG-CIPDR a rédigé un cahier des charges en urgence, qui a été modifié par le cabinet de la Ministre Schiappa :

De la même façon, le calendrier de réponse pour les associations candidates a été raccourci de 7 semaines, leur en laissant seulement 3 pour répondre.

« Sélection opaque dans laquelle le politique a outrepassé son rôle »

La commission d’enquête démontre que le processus de sélection a été bâclé, sur la base de critères opaques, en vase clos puisqu’aucune personnalité qualifiée extérieure à l’administration du dossier n’a été consultée, remettant en cause la neutralité requise. Pour enfoncer le clou, une grille de critères de sélection n’est pas disponible, laissant toute latitude aux décisionnaires pour leurs choix.

Le cabinet de la ministre a outrepassé son rôle en appuyant la candidature d’une association, tout en mettant en cause une subvention (100 000 euros) à une association sélectionnée favorablement, puis en intégrant une association sortie du chapeau puisque n’ayant pas participé au processus de sélection.

Les 2 associations qui ont récolté le plus d’argent, et c’est le constat du rapport initial de l’IGA, la première, l’USEPPM n’était pas admissible et/ou ne répondait aux quelques critères existants dont l’expérience notable dans la lutte contre le séparatisme. Le Sénat rapporte ainsi que Marlène Schiappa a eu au moins trois rendez-vous avec Mohamed Sifaoui entre mars et avril 2021, que son projet a été discuté a plusieurs reprises et qu’il a été activement encouragé à le déposer par le cabinet de la ministre déléguée. L’USEPPM avait déjà dispensé des formations à l’UCDR, payées à l’avance (avant réalisation des prestations) par SG-CIPDR pour près de 40 000 euros. La commission d’enquête a découvert qu’avant même le dépôt de la demande, il y a eu des discussions au niveau politique sur une allocation de 300 000 euros à l’association dans le cadre du fonds Marianne.

Utilisation des subventions : non contrôlée et pas à la hauteur des ambitions

Comme pour la sélection, il n’y a pas eu de grille de critères et évaluation des résultats des projets lauréats, indique la rapport du Sénat tout comme l’IGA.
Les 17 associations lauréates ont été entendues au Parlement et le rapport du Sénat précise qu’eu égard aux moyens qu’elle a eu, elle ne peut se prononcer sur le respect des conditions de convention d’attribution pour chacune. Le rapport de l’IGA, en revanche, est allé étudier chaque dossier.


La commission d’enquête remarque que 2 structures sont des sociétés anonymes et non des associations, et auraient dû à ce titre faire l’objet d’une vigilance renforcée. Or il n’y a eu aucune distinction, et même dans tous les documents du projet ces sociétés sont appelées « associations ».

355 000 euros pour l’USEPPM partis en quasi fumée ?

Tableau extrait du rapport du Sénat

Un maigre bilan au regard des fonds versés, d’autant que l’association n’a reçu aucun des co-financements sur lesquels elle s’était engagée. Et pourtant, les frais de personnel n’en ont pas subi les conséquences, gardant leur vitesse de croisière; le rapport cite particulièrement les 2 principaux salaires, ceux de M. Sifaoui et de Cyril Karunagaran, soit les dirigeants. Au-delà de l’aspect quantitatif, sur le fond, le rapport du Sénat pointe en outre des problèmes de compatibilité de contenus et de pertinence avec les objectifs du fonds Marianne.

L’audition de Mohamed Sifaoui a fait beaucoup de bruit sur les réseaux sociaux et dans la presse. Sourd aux étonnements, il a défendu son bilan avec insistance, d’une façon considérée par beaucoup d’observateurs comme à la limite de la bienséance face aux membres de la commission d’enquête. Le rapport du Sénat a choisi de faire figurer un extrait de ses déclarations face aux interrogations sur l’usage des fonds alloués :

« cela revient à nous annoncer le financement d’une armée pour combattre celle de Poutine alors que finalement, seule une petite milice est financée et il nous est demandé pourquoi nous n’avons pas battu l’armée de Poutine. C’est quand même surréaliste. Vous avez des islamistes qui ont dix ans d’avance sur vous, vous donnez trois francs six sous à une association, et vous vous demandez pourquoi les résultats ne sont pas suffisants. »

En pratique, le projet de l’USEPPM pour le fonds Marianne a démarré tardivement (septembre 2021) et s’est retrouvé à l’arrêt dès mars 2022, et Christian Gravel le savait selon un témoignage dans le cadre de l’enquête parlementaire. Cela semble n’avoir gêné personne. Fin 2022, le CIPDR a commencé a demander des pièces et justificatifs à l’USEPPM qui n’a pas répondu avant la mi-février 2023 suite à relances. Un contrôle des pièces reçues n’a été entamé par le gestionnaire qu’à la mi-mars.

Pour l’association ‘Reconstruire en commun’ largement subventionné, en 2e position à ce titre après l’USEPPM, le rapport du Sénat fait état également de l’étude des contenus tardivement, en février 2022, Christian Gravel aurait demandé l’arrêt des prestations, mais rien ne semble avoir été formalisé, témoignant d’une « erreur majeure de l’administration dans l’exercice de sa mission de contrôle ».

Matrice d’évaluation des 17 lauréats par l’IGA

L’IGA dans son second rapport est allé comme prévu regarder les dossiers de chaque associations subventionnée et dresse un bilan représenté dans le tableau ci-dessous au regarde de 6 critères d’évaluation :

Extrait du second rapport de l’IGA

On voit ainsi des non conformité majeures pour 8 associations soit près de la moitié des structures sélectionnées. Seule une association, ‘Lumières sur l’info’ est jugée conforme en tous points sur son parcours dans le fonds Marianne. On ne peut incriminer les seules associations : ici se traduit aussi le laxisme et le manque de cadre et de contrôle de l’initiative par les instances en charge.

Sur le processus d’appel d’offres, on voit des traitements variables selon le s associations. On a vu que USEPPM avait été présélectionnée et fléchée pour obtenir une subvention du fonds Marianne. C’est en quelque sorte également le cas de Civic Fab, Conspiracy Watch, 2P2L et Reconstruire le commun, qui ont été contactés directement par le CIPDR pour participer. Un sacré traitement de faveur.

Irresponsabilités du politique

C’est le constat du rapport du Sénat, pour absence de pilotage et de suivi du projet. Le facteur aggravant en est bien le fait que le cabinet de Marlène Schiappa a été moteur dans le processus de sélection lui-même, exemple avec l’association de M. Sifaoui ou au contraire, en écartant un candidat (SOS Racisme). Il en est donc conclu que « l’autorité politique a, dans le suivi des projets, renoncé à sa responsabilité ».

Pour la commission d’enquête sénatoriale, il s’agit de « gâchis », elle formule 12 recommandations qui constituent une refont totale du système d’appel à projet et du rôle des politiques pour éviter qu’ils outrepassent leurs droits, et qu’ils soient responsabilisés.

Le second rapport de l’IGA va dans le même sens, avec 10 recommandations de refonte.

Marlène Schiappa responsable ou rôle de fusible ? et les associations ?

Finalement dans ces deux rapports, ce n’est pas Marlène Schiappa qui est particulièrement pointée du doigt sauf quant à sa façon de balayer du revers de la main ses responsabilités et son favoritisme pour « le vaisseau amiral » USEPPM, comme l’appelle le rapporteur du Sénat . C’est une organisation gouvernementale complète qui implique plusieurs services et des politiques autour de cette initiative qui n’est peut-être qu’un symptôme détecté de problèmes systémiques.

On notera aussi le constat froid du rapport d’enquête du Sénat, qui semble voir les associations du fonds Marianne utilisées comme des outils au service de la communication gouvernementale, mais non identifiables en tant que tels. Un outil de communication au final « descendante » du pouvoir vers le peuple alors que certains entendent plus le rôle des associations dans le cadre d’une communication « ascendante », regroupements de personnes dont la vocation est de porter vers le pouvoir – entre autres – des voix unies de revendications citoyennes.

Hier, Virginie Leroy, avocate de Samuel Paty, faisait part sur France Info de sa consternation, considérant qu’on avait « profité de l’assassinat du professeur pour une communication politique. Sa mort a été instrumentalisée. » a-t-elle déclaré.

Image d’en-tête : Inspection générale de l’administration – source : gouvernement

Pour aller plus loin …

Image d’en-tête : implant développé par Neuralink – Source : site internet de la société

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