« Du Côté de la Science » : de l’exploitation de la crise sanitaire du Covid-19 au pire de la ferme à contenus rayon Santé – Bien-être
Le site ducotedelascience.org a été créé des activistes de Twitter déclarant défendre la science et lutter contre la désinformation. Le blog de ce collectif éphémère s’est transformé en un « e-mag » nébuleux qui produit au kilomètre et sous couvert d’expertise médicale des billets à la limite de la légalité et objectivement dangereux pour la santé publique. Enquête
Suite à des demandes formulées via « articles à la demandes » et des interpellations sur le réseau social X en décembre et janvier dernier, l’attention de la rédaction a été attirée sur la transformation d’un site confidentiel d’un collectif éphémère d’activistes du réseau social X (anciennement Twitter) nommé « Du côté de la science » en un « e-magazine » Santé-Beauté-Minceur. Un survol rapide permet de reconnaître le modèle de la ferme à contenus, terminologie proposée par NewsGuard pour ces sites qui produisent des billets de blog exploitant ChatGPT et autres robots et « journalistes » dits « génératifs » de qualité douteuse et souvent source de désinformation. Nous en parlions dans ces colonnes il y a quelques mois.
Cet article abordera le contexte de mutation du site avant d’entrer dans le vif du sujet : des contenus déplorables et dangereux sous couvert d’expertise en santé et médecine, et l’opacité active et persistante des éditeurs du site « Du Côté de la Science » désormais en doublon.
Une conversion opérée en catimini
Le groupe d’activistes Du Côté de la Science n’a été actif que quelques mois, surfant sur les premières vagues de la pandémie de Covid-19 essentiellement en 2021 sur le réseau social Twitter. Un blog avait été créé pour l’occasion avec le nom de domaine ducotedelascience.org, publiant un un contenu peu fourni.
Inactif depuis 2 ans, ce site a fait peau neuve à une date non déterminée entre octobre et décembre 2023, tel que l’atteste l’archive internet WaybackMachine :
Une constante : depuis sa création fin 2020 surfant sur la vague de la pandémie, ce blog n’a jamais été conforme aux exigences légales, qui requièrent un responsable éditorial légalement responsable des contenus et des coordonnées permettant de le contacter. Pourtant si le collectif était un groupe informel donc sans existence juridique et donc sans responsable légal, cela ne l’a jamais exempté de respecter la loi qui instaure des règles minimales de transparence et une personne nommément désignée et joignable comme responsable.
Cette défaillance était connue du collectif, comme l’atteste la mention d’excuse « page en construction » apposée de façon définitive. Ce procédé, quand il devient permanent, marque en général un volonté d’opacité en violation de la loi française sur la confiance en l’économie numérique. Le collectif avait d’ailleurs à ce titre été pris à parti sur le réseau social Twitter et invité à mettre à jour ses mentions, sans effet.
Jusqu’à fin décembre 2023 – début janvier 2024, les pages X (ex Twitter, à gauche) et Facebook (à droite) de l’ex collectif revendiquaient toujours leur site ducotedelascience.org transformé en e-mag santé-beauté-perte de poids
Masquage hâtif de l’affiliation et renforcement de l’opacité
Fin décembre 2023, les comptes X (ex-Twitter) inactif de l’ancien collectif sont interpellés sur ainsi que celui qui apparaît officiellement en tête de liste de ses fondateurs, Eric Billy (employé dans un laboratoire technique au sein de l’entreprise pharmaceutique Novartis).
Un tour sur les mentions légales de la nouvelle version de ducotedelascience.org s’avèrera instructive. Elles confirment l’arrivée d’un « propriétaire » : TEAMEXDI LP et d’un responsable de la publication, « Eric » présenté comme un grand scientifique biologiste qui travaille dans un laboratoire de recherche.
Les appels à information et questions publiques aux intéressés (compte X @Cote-Science et compte @EricBillyFr) resteront ignorés.
Mais elles sont entendues : plusieurs actions sont prises en urgence dans les jours qui suivent face aux remarques et questions embarrassantes :
Le nom de domaine: ducotedelascience.COM, inactif mais acquis fin 2021, vient remplacer ducotedelascience.ORG sur les 2 comptes réseaux sociaux interpellés pourtant inactifs depuis des années, dans une tentative évidente de se désolidariser de l’évolution du site.
Puis, quelques semaines plus tard, fin janvier 2024, il y sera migré une archive ducotedelascience.org avant son lifting récent, faisant coexister deux sites « Du Côté de la Science », la ferme à contenus douteux et le blog inactif d’une initiative périclitée.
Du côté du site relooké, les remarques formulées quant à l’illégalité persistante des sites ne tombent pas non plus dans l’oreille d’un sourd, puisqu’un bandeau à cliquer est apposé sur l’acceptation forcée des cookies par les visiteurs alors que la loi européenne exige de pouvoir les refuser (« opt-out »). Une demi-mesure qui ne rend toujours pas le site conforme sur cet aspect.
Cette entreprise hâtive est mal maîtrisée, les sites et sa doublure créée à la hâte restant fortement intriqués en termes de présentation des initiatives qui stipulent bien la même paternité : celle du collectif d’activistes Twitter au nom éponyme, avec de liens hypertexte entrelacés. À titre d’exemples, les mentions légales du site créé en doublon mène directement à la ferme à contenus.
Point commun, les deux blogs « Du Côté de la Science », au moment de la parution de cet article, campent sur leur position de masquage de leur responsable de la publication, le reste des mentions légales comportant de part et d’autres nombre d’irrégularités et clauses abusives que nous ne détaillerons pas ici.
Demandes de presse ignorées, renforcement de l’opacité
Dans le cadre de la préparation de cet article, nous avons bien évidemment tenté d’obtenir des entretiens et des réponses à nos nombreuses questions sur la transformation du blog, et avons cherché à contacter les responsables de la publication de Du Côté de la Science non identifiés hormis la mention de « Eric ».
Nous avons donc utilisé les formulaires de contact sur les blogs des deux domaines internet, les messageries privées des pages de réseaux sociaux et le propriétaire TEAMEDI LP. Les destinataires n’ont à l’évidence pas souhaité échanger, aucun retour n’a été obtenu malgré plusieurs relances entre janvier et mars 2024.
Mais les demandes de presse ont été reçues, et une action a été prise sur le blog : la modification du nom du propriétaire du site a changé fin janvier : TEAMEXDI LP est devenue TEAMDI LP :
Malheureusement, et c’est le problème de toutes ces tentatives de masquage d’affiliations, internet a de la mémoire. Il est très difficile de ne pas hériter de l’historique d’un blog quand on le fait évoluer. Ici on franchit un cap : TEAMDI LP n’existe a priori pas, en tout cas pas au Royaume-Uni comme en atteste le registre des sociétés du Royaume-Uni que nous avons consulté ; en revanche TEAMEXDI LP est bien présent.
On peut donc raisonnablement supposer que tout comme Eric le responsable légal des contenus de blog, les propriétaires des sites internet ne veulent pas être identifiés malgré l’obligation légale.
Suite à nos recherches, il s’avère que TEAMEXDI LP (registre n° SL034260) est une société créée en janvier 2020 avec un siège social située à Édimbourg au Royaume-Uni. L’adresse est celle d’une entreprise de domiciliation et on peut supposer que les propriétaires du domaine n’y ont aucune présence physique, puisqu’il sont à l’origine en France, et désormais en Afrique. En effet, les actionnaires et dirigeants sont deux personnes physiques situées au Bénin. Leur société emploie ou a employé des rédacteurs web et spécialistes SEO et référencement marketing français et béninois.
TEAMEXDI LP possède toute une myriade de blogs francophones. Outre « Du Côté de la Science », on trouve d’autres sites de pseudoscience se targuant d’expertise santé et bien-être mais aussi de finance ou d’économie, et des sites de vente en ligne qui vont des accessoires pour chiens aux lampes LED. Les responsables de la publication sont souvent l’un et/ou l’autre des béninois dirigeants de TEAMEXDI LP, plus rarement des personnes dont on ne donne que le prénom, à l’instar de « Du Côté de la Science ». Ces responsables de publication n’assument à l’évidence pas leur responsabilités éditoriales et relation avec les dirigeants béninois.
Faux experts, pseudoscience, ChatGPT et SEO
Il est temps de s’intéresser aux contenus du blog « Du Côté de la Science » nouveau format. Nous avons ici toutes les caractéristiques de la ferme à contenus décriée par NewsGuard comme moteurs de propagation d’informations de mauvaise qualité voire de désinformation. Ici, on touche un sujet sensible : la santé et le bien-être, des domaines très exploités car vendeurs avec des conséquences négatives en matière de santé publique.
Avec environ 80 articles à ce jour, « Du Côté de la Science » nouvelle formule a produit en moyenne un article par jour. Son rythme de croisière est plus élevé mais il y a eu un ralentissement de la production dès que la Rédaction s’est mise à tenter de solliciter les responsables de blog. C’est plus particulièrement « Eric » qui a freiné la production de billets dans la foulée des interpellations publiques ignorées des comptes Twitter @Cote_Science et @EricBillyFR et qui en tant que responsable de la publication a dû recevoir les demandes de contact sur le blog. Quoi qu’il en soit, ce n’est qu’une petite fraction de la production de la myriade de blogs de TEAMEXDI LP, qui produit donc au kilomètre des billets soi-disant d’experts sur des sujets techniques. Nous sommes bien dans la production quantitative.
Quid de la qualité ? Revenons à « Du Côté de la Science ». Tout d’abord, si l’on nous cache l’identité d’Eric, responsable de la publication, Eric nous est bien décrit comme mentionné précédemment : chercheur en laboratoire, docteur en microbiologie, qui fait aussi de l’enseignement à la faculté.
Il est censé partager au public « son expertise et ses découvertes dans le domaine de la microbiologie ». Le problème, c’est que tous les billets d’Eric parlent de médecine et de médicaments, ainsi que de Covid-19 (test, vaccins, masques) à l’instar des activistes du collectif éphémère. Il ne partage donc rien que dans des domaines hors du sien : c’est ce que l’on appelle un faux expert des domaines abordés. Mais cette biographie est-elle fidèle à la réalité ? Impossible de savoir, Eric ne confirme pas son identité et est représenté au format dessin en blouse blanche à la paillasse d’un laboratoire.
Nous avons ensuite Estelle, experte en beauté et minceur. Elle est diplômée en nutrition et bien-être, elle sait y faire en perte de poids.
Toujours pas d’identité, mais un dessin pour la représenter, elle ressemble à une héroïne de BD.
Voyez un peu ses dernières productions : cela parle beaucoup de médecine, de diagnostic, traitements de médicaments, comme son responsable de publication et rédacteur Éric. Elle est donc aussi un faux expert sur nombre de sujets abordés. Pire, elle a fait dernièrement de la publicité pour Ozempic, un médicament sur ordonnance détourné de son usage pour la perte de poids, et promeut les fleurs de Bach au rayon pseudoscience.
Enfin, l’équipe rédactionnelle est au complet avec Rene, lui aussi expert santé et bien-être, lui aussi non identifié et représenté par un dessin. On ne lui attribue pas de diplômes par contre, on fait état de sa « curiosité insatiable » en d’autres termes on fait passer un amateur passionné pour un expert. Dans cette rhétorique, on retrouve la confusion Expertise /Amateur passionné exploitée durant la crise sanitaire par les activistes de réseaux sociaux, jouant souvent sur l’autorité d’un diplôme en science dans un autre domaine que les spécialités pointues abordées.
D’ailleurs, comme Eric et Estelle, il vous parle de médecine, guide des diagnostics, joue les pharmaciens spécialiste des médicaments.
Des contenus à base d’IA générative entre SEO, publicité et pseudoscience santé et bien-être
À la lecture des contenus, on est vite frappé par la qualité douteuse en termes de style, vocabulaire et grammaire mal maîtrisés. Beaucoup d’écrits semblent issus de traduction automatique de l’anglais retranscrite sans corrections. On ne va pas rentrer dans les détails, simplement donner quelques exemples rassemblés ici. Absence de relecture d’une traduction bancale ou absence de maîtrise de la langue française ? Possiblement les deux.
Ici, les exemples sont caricaturaux, car les robots traducteurs ne font pas de telles erreurs ; néanmoins, l’analyse générale des textes montre qu’elle est largement utilisée dans le blog, ce qui ne donne certes pas un résultat professionnel, ce qui est problématique s’agissant de contenus médicaux souvent orientés sur le diagnostic médical et l’usage de médicaments.
On tirera de tout cela que les trois rédacteurs censés être des experts scientifiques, médicaux sont probablement plutôt de fervents utilisateurs de robots conversationnels comme ChatGPT, embarqués dans l’optimisation SEO sur des sujets populaires. Du marketing rédactionnel bas de gamme en somme.
Des messages dangereux pour la santé publique
On l’a vu, les trois rédacteurs tels que présentés n’ont ni formation ni expertise dans le domaine médical, y compris le responsable de la publication Eric qui se présente comme chercheur renommé et met en avant un titre de docteur, mais pas en médecine ou pharmacie et donc non expert sur ces sujets tout comme ses acolytes Estelle et René. Mais les membres de l’équipe d’Eric existent-ils vraiment ? On peut en douter, tant tout cela ressemble au nerf de la guerre des fermes à contenus : de la production de textes par IA générative par de faux rédacteurs dit eux-mêmes « génératifs ».
Le résultat en termes de contenus, objectifs et messages transmis au public est désastreux. On nous vend par exemple Ozempic pour perdre du poids, alors que cette spécialité est exclusivement dédiée au traitement du diabète et fait l’objet de pénuries par détournement d’usage….pour la perte de poids. Le billet va même jusqu’à copier-coller le mode d’emploi du médicament et cerise sur le gâteau, la photo d’illustration nous montre le geste et l’emplacement de l’auto-injection à pratiquer. Le rédacteur ne comprend rien à son sujet, affirmant qu’Ozempic est venu sous le nom d’Ozempic et de Wegovy, ce qui est faux, les deux médicaments ayant des indications différentes. La désinformation sous couvert d’expertise est bien là, la publicité pour un médicament sur ordonnance et hors indication qui plus est est interdite.
« Du Côté de la Science » se fait d’ailleurs une spécialité de recopier les notices de médicament, faisant de la publicité pour les laboratoires pharmaceutiques par la même occasion. Ici on notera qu’une pilule commercialisée est présentée comme « réputée » empêcher la grossesse, comme s’il était permis d’avoir une autorisation de mise sur le marché basée sur la réputation et non l’indication prouvée.
La pseudoscience est promue chez « Du Côté de la Science », exemple avec ce billet récent qui nous vend les Fleurs de Bach comme « thérapie florale » de la perte de poids ou des problèmes de mémoire.
Autre exemple parmi d’autres, la rhétorique typique de la pseudoscience utilisée ci-dessous pour nous expliquer les causes psychologiques de la sciatique grâce à une « approche holistique » de la santé. « Du Côté de la Science » en profitera plus loin dans l’article pour nous suggérer d’aller voir des psychologues ou des thérapeutes holistiques pour soigner la sciatique.
Le SEO (Search Engine Optimization), vous connaissez ? C’est une technique d’optimisation du choix des mots dans un texte pour augmenter sa visibilité en multipliant les chances d’être référencé par les moteurs de recherche. « Du Côté de la Science » y travaille, parfois de façon grossière. Exemple de sujet avec du « Mc Donald » à toutes les sauces au rayon Perte de poids :
Côté pseudoscience et bafouement des sciences médicales (ici la psychiatrie), « Du Côté de la Science », on associe le domaine du « bien-être » à l’usage de la paroxétine, un médicament antidépresseur sur prescription médicale pour la dépression, classée ici parmi les « troubles psychologiques ».
« Du Côté de la Science » promeut clairement le mésusage de médicaments et la pseudoscience, véhiculant de fausses informations à l’occasion. Ce blog est lui-même un bon exemple du mésusage des robots conversationnels tels que ChatGPT, en tant que ferme à contenus, un fléau qui se propage.
Les responsables de « Du Côté de la Science » semblent le savoir, comme en atteste l’absence d’affichage de l’identité et des coordonnées d’Eric, responsable légal des publications et la falsification du nom du propriétaire du blog, société investie activement dans les fermes à contenus.
On regrette le mutisme du collectif informel d’activistes Du Côté de la Science, qui bien qu’inactif depuis plusieurs années s’est empressé de brouiller son affiliation historique au blog suite à des interpellations sur les réseaux sociaux, et des responsables légaux des publications et de TEAMEXDI LP à nos demandes de presse. Cela ne permet pas de connaître les tenants et aboutissants de l’évolution de l’initiative du côté de la pseudoscience, de la désinformation médicale et de la mise en danger de la santé publique.
Pour aller plus loin
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