Annexion des médias par des activistes de réseaux sociaux : un danger pour la qualité de l’information et la confiance en la science
C’est un phénomène que l’on a vu particulièrement dans la crise sanitaire du Covid-19 pour la science et la santé. L’expérience, parfois inquiétante, se poursuit, malgré que la déontologie journalistique devrait servir de rempart.
Nous avions relaté il y a quelques mois une histoire « rocambolesque » d’activistes de réseaux sociaux hyper-médiatisés dans l’affaire du professeur Didier Raoult. Ce dernier a beaucoup fait parler de lui dans la crise sanitaire avec sa promotion douteuse de l’hydroxychloroquine dans le Covid-19. Pour cette promotion, le canal des réseaux sociaux était largement sollicité via les déclarations du professeur marseillais sur son propre compte Twitter (désormais X suite au rachat par Elon Musk), qui compte aujourd’hui près de 1 million d’abonnés. Ce compte personnel relaie, et est relayé par un compte YouTube propageant largement lui aussi les idées de Didier Raoult, dont il est le plus souvent l’orateur.
Nous avions parlé en 2021 de ce redoutable système médiatique mis en place à l’IHU Méditerranée Infection, antre du Pr Raoult, qui à l’époque revendiquait fièrement sa communication que l’on avait qualifiée de populisme médical.
Porosité persistante des médias
Dans l’affaire de l’IHU Marseille, nous avons fait face à la promotion d’une vieille molécule repositionnée dans le traitement du Covid par le Professeur Raoult, qui en faisant grande publicité directement auprès du public via les réseaux sociaux. Des milliers de patients se sont vu administrer le « traitement Raoult », qui selon le Code de la santé publique était expérimental dans le Covid-19, donc nécessitant un accord préalable des autorités sanitaires. D’autre part la publicité pour des médicaments de prescription directement auprès du public est très réglementée et n’aurait pas dû avoir lieu. Pourtant, les médias ont tendu un micro au professeur Raoult, l’encensant tel un héros de guerre dans la lutte contre le Covid.
Exploiter le buzz est toujours tentant pour les médias. Leur modèle économique est ainsi défini qu’il faut faire de l’audience à tout prix. C’est moins le cas des rares modèles de journalisme à but non lucratif (comme Science infuse).
Et c’est là que la déontologie intervient. Pour les questions scientifiques, le Conseil de déontologie journalistique et de médiation (CDJM), instance consultative française, a émis des recommandations qui tirent des leçons de la porosité inappropriée des médias au buzz non légitime pendant la crise sanitaire. Nous avions analysé de façon critique cette recommandation dans un article dédié.
Micro tendu aux faux experts et aux règlements de compte d’influenceurs
Les activistes de réseaux sociaux qui fustigeaient l’imposture du Pr Raoult au temps de la crise sanitaire ont-ils sombré dans les travers qu’ils combattaient ? La question est légitime. Toujours est-il qu’après l’imposture de l’association fantôme – informations qu’auraient dû vérifier les médias professionnels avant de « pousser » l’histoire sur leurs plateaux TV et dans leurs colonnes, il semble que l’on continue dans la même voie : des membres de clans sectarisés « pro-science » se prennent pour des experts (lire la série « Expertise & Experts) en faisant des recherches sur internet, dans des domaines hyperspécialisés comme la recherche clinique ou la santé publique. Tant que cela est confiné au folklore des réseaux sociaux et leur audience faite d’internautes eux-mêmes radicalisés et ne cherchant qu’à entendre la thèse à laquelle ils sont déjà acquis, on pourrait presque en rire. On pourrait en effet se rassurer en supposant que cela ne franchira pas la barrière des médias censés marquer la frontière entre l’activisime idéologique et tous les « coups fourrés » auxquels il s’adonne, et l’information factuelle dans les médias journalistiques sont garants.
Il semble pourtant que la barrière déontologique ne soit toujours pas de mise.
À titre d’exemple concret, il suffit de consulter de récents articles de médias « mainstream » qui valident des experts auto-proclamés sur les réseaux sociaux hors de leur domaine de compétence, avec Le Point qui bombarde experts en recherche clinique et droit de la santé des internautes certes passionnés mais que l’on peut qualifier d’amateurs (dans le bon sens du terme), en la matière, sans formation ni pratique des domaines concernés. Or, la science est basée sur l’expertise. Propulser des non experts en la matière en les prenant comme référents, c’est d’une certaine façon bafouer la science et au final, entretenir la défiance du public en elle. C’est précisément ce que les règles déontologiques du CDJM sur le traitement journalistique des questions scientifiques essaie de prévenir avec son exigence d’experts en la matière, et précisément en la matière.
Encore plus récemment, des querelles entre groupes radicalises des réseaux sociaux a franchi la barrière des médias professionnels, portant de façon ostentatoire la thèse de l’un des clans en opposition, au mépris, nous semble-t-il de la plus élémentaire déontologie journalistique. Il s’agit d’un article du journal Le Figaro consultable ici. Il y est défendu l’un des clans en opposition à grand renfort de témoignages d’internautes anonymes de réseaux sociaux, ce qui donne du poids pour appuyer la thèse ou plutôt le clan que défend le journaliste. Un article qui est donc à charge sur des bases pour le moins discutables.
Pour qui pratique la science, dont le journalisme est censé se rapprocher sur le plan de la rigueur et de l’objectivité des analyses, rappelons que les témoignages n’ont guère valeur de preuve. Qui plus est quand ils sont anonymes.
Mise à jour : 24/09/2023
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