L’Europe peut-elle interdire le réseau social X (ex-Twitter) d’Elon Musk ?
C’est la menace brandie par Thierry Breton, commissaire européen et réitérée par Clara Chiappaz, ministre déléguée chargée de l’Intelligence artificielle et du Numérique. Mais pourquoi, et le danger est-il réel ?
L’événement relaté dans notre article récent sur la décision de Mark Zuckerberg de cesser d’alimenter la manne des fact-checkers au niveau mondial suscite de vives réactions. Zuckerberg contrôle les réseaux sociaux Facebook, Instagram et Whatsapp. Pourtant, on en retient surtout la menace brandie d’interdire le réseau social X (anciennement Twitter) en Europe et en France. Pourquoi ? parce que le revirement de Zuckerberg est relativement récent, après une réflexion entamée en 2023, moment où il a révélé publiquement que le programme de fact-checking qu’il finançait avait été utilisé par le gouvernement pour censurer des informations pendant la pandémie de Covid-19. Aujourd’hui, il répète à l’envi ce qu’il a déjà révélé. L’investiture prochaine de Donald Trump n’y est sans doute pas pour rien. Il y a sans doute un souhait de « rentrer dans le rang et se faire bien voir du nouveau président.
Le leitmotiv binaire « vrai ou faux » des fact-checkers, une déconnexion dangereuse de la réalité ?
Outre-Atlantique, elle est inscrite dans la Constitution. En Europe, c’est un droit de base dans les limites de la loi. En France, il y a des exceptions nommément désignées comme l’incitation à la haine raciale, ethnique ou religieuse, l’apologie de crimes de guerres, les propos discriminatoires visant certains groupes de population, etc. Il existe bien un délit de fausses informations, mais il est lui-même limité par des caractéristiques d’intention de nuire. Ces limites à la liberté d’expression ne fonctionnent donc absolument pas sur le référentiel binaire du « vrai ou du faux » prôné par les fameux fact-checkers ; l’un d’entre eux, Julien Pain, employé par le service public avec une émission explicite : « Vrai ou Fake », persiste et signe pourtant : « On dit simplement ce qui est vrai et ce qui est faux« . Un ministère de la Vérité en somme, tenu par une poignée de personnes habilitées ou désignées. Si elles sont rémunérées par Facebook, ou le service public, on voit directement le danger de cette simplification. Car qu’est-ce que la vérité ? Elle est plurielle et changeante, pas forcément binaire ; et cela s’applique également aussi aux faits ou vérités scientifiques. En science, la réponse n’est souvent pas binaire. Tout dépend du point de vue, des critères, des référentiels. C’est pourquoi les ministères de la Vérité sont certainement un danger pour la démocratie.
L’Europe et la France en barrage
Thierry Breton, en passe d’armes permanente avec Elon Musk concernant son réseau social X (ex Twitter), lui oppose le DSA (Digital Service Agreement), système réglementaire inédit dans le monde qui impose aux plateformes d’envergure sur internet de mettre en œuvre une modération adéquate pour empêcher la propagation massive de propagande et de désinformation en Europe. Son discours a été appuyé par Clara Chiappaz, nommée ministre de l’Intelligence artificielle et du Numérique il y a trois mois par Michel Barnier et reconduite récemment par François Bayrou. Cette semaine, sur le réseau social X et dans une émission politique télévisée, elle a effectivement brandi la menace de l’interdiction des réseaux sociaux. À l’appui, elle a déclaré qu’il fallait lutter contre les « fausses opinions« . Elle a été reprise par le journaliste animateur, et s’est corrigée pour dire « fausses informations »‘ ; mais quand même : le lapsus est éminemment révélateur : faits ou opinions, la confusion est lourde de conséquence, car dès lors qu’il s’agit d’opinions jugées fausses on entre de facto dans la censure. Le tenants de ce discours font aussi des raccourcis trompeurs, faisant croire qu’arrêter la subvention massive des « fact-checkers » équivaut à s’abstenir de modération. Or, une modération biaisée par des « fact-checkers » politisés ou déconnectés de la pensée critique et non indépendants est possiblement pire en termes de conséquences qu’une modération réduite ou différente dans ses modalités.
Réglementation contre Innovation
L’Europe régule énormément, pendant que les États-Unis innovent. On peut regretter l’absence de plateforme de réseaux sociaux européenne populaire, qui aurait réduit la menace des réseaux sociaux américains. La régulation contre la puissance technologique ? Aujourd’hui, on est dans un système de défense basé sur la réglementation. Évidemment, le DSA est vertueux dans ses principes de protection des usagers contre les armes numériques massives de propagande, d’ingérence politique et de désinformation, mais le sujet aujourd’hui est bien de ne pas l’instrumentaliser pour en faire un outil de censure. Malheureusement, on a désormais un précédent récent avec l’histoire de Facebook sous le présidence Biden. Il paraît difficile d’en faire abstraction.
Un bannissement de X peu probable
Même si la décision de bannir le réseau social d’Elon Musk est très vite brandi aujourd’hui, le scénario est peu réaliste. L’Europe n’est pas une dictature. Le DSA prévoit bien des sanctions au titre du non respect de la réglementation, mais elles sont avant tout financières, soit des amendes pouvant aller jusqu’à 6 % du chiffre d’affaires de la plateforme condamnée. Juridiquement, le bannissement, même temporaire, serait un acte de grave susceptible de recours préalables au niveau des instances européennes, requérant une analyse approfondie pour une décision lourde de conséquences. Cela étant dit, le Brésil a banni temporairement le réseau social X en 2024, et Elon Musk a alors plié aux demandes du gouvernement pour rétablir le service.
Image d’en-tête : Andrea pour Science infused
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