Les façons surprenantes de former ses croyances
par Melanie Trecek-King et traduit par Science infuse et fruit d’un travail conjoint au sein de la Rédaction de sélection pour le public français issue du site internet anglophone Thinking is Power dédié à la pensée critique
Vous n’êtes pas aussi rationnel que vous le pensez
Chaque année, le 15 février, sur une île isolée au milieu du Pacifique Sud, les membres de l’armée de l’île de Tanna vénèrent Dieu en participant à des défilés de style militaire. Ils portent du rouge, du blanc et du bleu, se peignent des USA sur la poitrine et marchent avec des « fusils » en bambou. Le drapeau américain flotte. On chante des chansons patriotiques.
Car sur cette île de l’archipel du Vanuatu, dieu est un soldat américain. Et il s’appelle John Frum.

À ce jour, on ne sait toujours pas exactement comment cette religion est née. Selon certains récits, John Frum est apparu pour la première fois sur Tanna vers 1930, en tenue militaire américaine, promettant aux habitants que s’ils retrouvaient leurs traditions et leurs coutumes, il reviendrait et leur apporterait richesses et biens.
Les Mélanésiens, qui vivaient sur ces îles isolées depuis deux mille ans, avaient développé des traditions, des coutumes et des croyances uniques. Après la « découverte » des îles par les Européens, les Britanniques et les Français les ont revendiquées comme colonies. Les missionnaires chrétiens ont rapidement suivi. Bien que les Tannais aient été mal traités, peu respectés et surchargés de travail, ils ont essayé de maintenir leur culture et leurs traditions.
Par la suite, à l’occasion de la lutte contre le Japon pendant la Seconde Guerre mondiale, l’armée américaine a mis en œuvre une stratégie de saut d’île en île. Une fois qu’une base avait été construite et qu’une quantité suffisante de marchandises avait été acheminée, l’armée passait à l’île suivante. Et comme l’accent était mis sur des îles plus petites et moins surveillées, les populations qui avaient été isolées auparavant ont été exposées à la « magie » de la technologie moderne. Les avions. Les armes à feu. Les médicaments. Des vêtements fabriqués en usine. Les conserves, comme Spam [marque américaine de conserves de viande de porc, NDLR] .
Leur Messie est revenu. La prophétie était donc vraie !
Après la fin de la guerre, John Frum (signifiant possiblement John From America) est parti. Mais on peut espérer qu’avec suffisamment de célébrations, de prières et d’offrandes symboliques, il reviendra et apportera encore plus de biens avec lui.
Ce système de croyance peut vous sembler étrange. J’en ai entendu parlerpour la première fois lors d’une visite au Vanuatu, après avoir remarqué des pistes d’atterrissage improvisées et des « avions » fabriqués avec de l’herbe, et je dois admettre que j’ai involontairement penché la tête.
Vous-même, penchez-vous sur la façon dont le chef Isaac Wan a répondu lorsqu’on lui a demandé pourquoi, 60 ans après que John ait promis de revenir avec une cargaison, ses adeptes croient toujours en lui : « Vous les chrétiens, attendez depuis 2 000 ans que Jésus revienne sur terre, et vous n’avez pas perdu espoir« .
Il est difficile de contester cela.
Comment formons-nous nos croyances ?

puis on travaille à rebours pour trouver des preuves permettant de rationaliser la croyance.
Nous aimons penser que nous sommes rationnels et que nos croyances sont le résultat d’une conclusion logique à partir de preuves.
Nous aurions tort.
L’évaluation des preuves prend du temps et de l’énergie, et notre cerveau est paresseux. Il est plus facile de croire ce que l’on entend que de le remettre en question.
En réalité, la plupart de nos croyances sont simplement le fruit de la socialisation, de la confiance, de la géographie et des émotions.
Une fois qu’une croyance est formée, nous n’avons pas tendance à changer d’avis.
On veut des explications
L’être humain est naturellement curieux. Si vous avez déjà passé beaucoup de temps avec un enfant en bas âge, vous l’avez certainement entendu demander » Mais, pourquoi ? ». Souvent. Et notre curiosité nous pousse à chercher des explications.

Source : Gleilson Miranda/Secretaria de Comunicação do Estado do Acre
Nous recherchons des modèles : Notre cerveau essaie constamment de mettre de l’ordre dans un monde chaotique, de relier les points entre eux de manière à ce qu’ils aient un sens.
Par exemple, vous avez vomi toute la nuit. Qu’est-ce qui vous a rendu malade ? Le Taco Bell que vous avez consommé au dîner ?
Ou bien vous êtes seul dans votre maison la nuit et vous entendez un bruit… Est-ce le chat ? Un cambrioleur ? Un fantôme ?
Imaginez encore que vous vous promenez dans les bois et que vous entendez un bruit. Est-ce le vent ? Ou est-ce un puma ? Votre vie est en jeu !
Si vous pensez qu’il s’agit d’un prédateur mais que ce n’est que le bruissement du vent dans les arbres, vous êtes en vie. Paranoïaque, mais vivant. Mais si c’est en réalité un prédateur et que vous pensez que c’est juste le vent, vous êtes mort. En fait, il est adaptatif de voir des modèles, même lorsqu’il n’y en a pas.

un bâtonnet de poisson !
Nous supposons des intentions : Nos cerveaux recherchent plus que de l’ordre. Ils recherchent un sens et un but. Notre croyance en des forces intentionnelles a probablement évolué en même temps que notre reconnaissance des formes… comme le prédateur dans les bois dont vous supposez qu’il va vous tuer.
Par exemple, l’enfant qui demande « pourquoi ? » suppose souvent qu’il y a une raison ou un but. Pourquoi y a-t-il des lacs ? Pour que nous puissions nous y baigner ! Pourquoi les oiseaux existent-ils ? Pour nous chanter de jolies chansons !
On retrouve cela chez les adultes également. Par exemple, un ouragan est une punition de Dieu. Ou porter ses chaussettes porte-bonheur permet de gagner le match. Ou encore, prier pour que votre ordinateur ne perde pas tout votre travail vous permettra de sauver votre copie.
La croyance dans le surnaturel est probablement due à l’agentivité, ou la tendance à croire que des agents intentionnels invisibles contrôlent le monde. Parce que le monde naturel est complexe et hors de notre contrôle, nous y voyons l’œuvre de fantômes, de démons, de dieux et de sorcières. Mais tout n’a pas une raison d’être ou une cause surnaturelle. Parfois, des choses surviennent, tout simplement.
La croyance, notre paramétrage par défaut
Nous sommes inondés d’informations, toute la journée, tous les jours. Il serait tout simplement trop épuisant de remettre chaque chose en question. C’est pourquoi, en règle générale, nous ne le faisons pas et nous nous appuyons sur une série de raccourcis pour déterminer ce qui est vrai…
Nous croyons ce que les autres croient autour de nous : La plupart de nos croyances les plus fondamentales, notamment en matière de religion et de politique, se forment avant que nous ayons eu l’occasion de les remettre en question.

Source : de.wikipedia.org/wiki/Bild:Weltreligionen.png
Plus une croyance est alignée sur notre vision actuelle du monde, plus nous sommes susceptibles de l’accepter comme vraie : Après tout, pourquoi remettre en question de manière sceptique quelque chose que l’on « sait » déjà être vrai ?
Cette tendance à rechercher et à privilégier les informations qui confirment ce que nous croyons déjà, ou biais de confirmation, est ce qui nous rend enclins à tomber dans le piège des « fausses informations ». Avant l’élection de 2016, des « fausses informations, comme le soutien du pape à Donald Trump pour la présidence et Hillary Clinton à la tête d’un réseau pédophile dans le sous-sol d’une pizzeria, ont été largement partagées et crues par de nombreuses personnes en proie à leurs propres préjugés.
Nous croyons ce que nous entendons : Avez-vous entendu dire que Napoléon était petit ? Eh bien, ce n’est pas le cas. Avec son mètre soixante-dix, il était de taille moyenne pour un homme de l’époque. Mais le mythe est tellement présent dans notre culture qu’il perdure. Il faut plus d’énergie pour remettre en question une affirmation que pour l’accepter, de sorte que nos cerveaux paresseux prennent souvent le raccourci et supposent qu’elle est vraie.
Plus nous entendons quelque chose, plus nous sommes enclins à y croire : Plus une affirmation est répétée, plus notre cerveau la traite facilement, quelle que soit sa véracité. Et même si la répétition a pour but de démystifier la désinformation !
Revenons aux fausses informations. En raison d’une combinaison de choix personnels d’amis et de sources d’information, et d’algorithmes conçus pour nous maintenir engagés, nous pouvons nous retrouver piégés dans des chambres d’écho, dans lesquelles les informations sont répétées. Il est important de se rappeler que ce n’est pas parce que l’on voit un titre ou une affirmation plusieurs fois qu’elle est vraie.
Nous faisons confiance à nos expériences personnelles
Avant que l’homme ne développe le langage, nos sens étaient le principal moyen d’apprendre à connaître le monde qui nous entoure. Lorsque nous sommes enfants, nous voyons et entendons avant de pouvoir communiquer. Et nos sens sont relativement fiables. Avec un peu de chance, nos sens de la vue et de l’ouïe nous avertissent de la présence d’une voiture qui fonce sur nous, et nos sens de l’odorat et du goût nous conseillent de ne pas manger d’aliments avariés qui pourraient nous rendre malades.
Nous sommes nombreux à penser que nos expériences personnelles sont le meilleur moyen de connaître quelque chose. Par exemple, les jurés supposent que le témoignage oculaire est la meilleure preuve. Beaucoup croient à l’efficacité de l’homéopathie parce qu’ils l’ont essayée et qu’elle a fonctionné pour eux. Et les gens peuvent croire aux fantômes parce qu’ils en ont vu un.

Le problème, c’est que nos perceptions ne sont pas aussi exactes que nous le pensons. Nos perceptions sont des interprétations subjectives de la réalité et sont influencées par nos expériences passées, nos attentes, nos émotions et nos biais.
En fait, la perception n’est pas la réalité. C’est la lentille à travers laquelle nous filtrons la réalité.
Si l’on en revient aux exemples : les témoignages oculaires erronés sont la principale cause de condamnations injustifiées.
L’homéopathie ne contient littéralement rien qui puisse provoquer une réaction biologique. Il s’agit d’un placebo. Mais l’effet placebo, c’est-à-dire le fait de se sentir mieux en raison d’attentes, est réel.
Et pour ce qui est des fantômes, j’ai passé une nuit dans un château « hanté » sur le Rhin en Allemagne. Je ne crois pas nécessairement aux fantômes, mais j’étais en état d’alerte toute la nuit. Quel était ce bruit ? Était-ce de l’air froid que je venais de ressentir ? Qu’est-ce que c’était que cette chose au coin de mon œil ?
Le fait est que nos croyances et nos attentes influencent notre perception de la réalité. Nous supposons que voir, c’est croire. Mais en réalité, croire, c’est voir.
Nous sommes plus enclins à croire les informations provenant de personnes en qui nous avons confiance
L’homme est un animal social. Nos ancêtres dépendaient les uns des autres pour leur sécurité et, collectivement, nous pouvons en savoir plus que n’importe lequel d’entre nous indépendamment. La confiance était, et est toujours essentielle à la survie. Nos expériences personnelles ne peuvent pas nous mener bien loin. Faire confiance aux autres et à leurs expériences nous offre un raccourci sur ce qu’il convient d’accepter comme vrai.
Nous croyons les figures d’autorité : En tant qu’enfants, notre survie dépend de nos parents et d’autres membres de la famille en qui nous avons confiance. Pourquoi devraient-ils nous écouter ? « Parce que j’ai dit que c’était comme ça ! »
En tant qu’adultes, nous continuons à faire confiance aux figures d’autorité, qu’il s’agisse de nos chefs religieux ou de nos hommes politiques.
Nous croyons ce que les membres de notre « tribu » croient : Les « tribus » sont des groupes qui partagent des intérêts ou des identités, qu’il s’agisse de la nationalité, de la politique, de la religion, de la race ou de l’ethnie, et d’innombrables autres groupes. Nos tribus sont souvent une source de fierté, et pour renforcer notre estime de soi, nous renforçons la position de notre groupe. Nous voulons que notre tribu « gagne ». La « vérité » dépend donc de la question de savoir si la personne qui l’affirme est l’un de « nous » ou l’un d' »eux ».
Comme vous pouvez le constater, il peut être problématique de faire confiance aux figures d’autorité et à nos tribus en matière de connaissances. Ils peuvent avoir tort et pourtant, le fait d’être en désaccord peut nous coûter notre statut social au sein de notre groupe.
Par exemple, après les attaques terroristes du 11 septembre 2001, les Américains se sont ralliés à leur identité nationale commune. Les manifestations patriotiques étaient omniprésentes, les Américains se signalant les uns aux autres par leur loyauté tribale. Malheureusement, tout désaccord avec la politique étrangère américaine était qualifié d' »antipatriotique », comme l’a montré la fameuse phrase de George W. Bush : « Vous êtes avec nous ou vous êtes avec nous » :
» Vous êtes avec nous, ou vous êtes avec les terroristes ».
Le problème n’est pas que nous fassions plus confiance à certaines sources qu’à d’autres. Le problème est de savoir où nous plaçons notre confiance. Vous pouvez aimer profondément votre oncle, ou être un démocrate ou un républicain fier de l’être, mais ni l’un ni l’autre ne sont intrinsèquement des sources dignes de confiance pour tout ce qui concerne le savoir !
Messages à retenir
Notre cerveau est un moteur à croyances. Il nous faudrait trop de temps et d’énergie pour exiger des preuves de toutes nos croyances, c’est pourquoi nous avons recours à des raccourcis pour nous aider à déterminer ce qui est vrai.
Une fois que nous avons formé des croyances, nous cherchons des preuves pour les justifier, en négligeant souvent celles qui ne confirment pas ce que nous pensons déjà être vrai. Et parce que nous pensons être parvenus à notre conviction en évaluant logiquement les preuves, nous sommes moins ouverts au changement d’avis.
Si nous voulons aligner nos croyances sur la vérité, nous devrions d’abord nous demander comment nous sommes arrivés à cette croyance. Mais nous ne pensons généralement pas à remettre en question nos croyances. Nous supposons simplement qu’elles sont vraies.
Nombre d’entre nous sont entourés de personnes qui partagent nos convictions. J’ai été confrontée à certaines de mes propres hypothèses sur une minuscule île du Pacifique Sud, mais dans le monde connecté d’aujourd’hui, il n’est pas nécessaire d’aller aussi loin.
Sortons donc de nos chambres d’écho, apprenons ce que les autres croient et donnons-nous la possibilité d’apprendre ce que nous croyons.
Traduit par la Rédaction. La traduction étant protégée par les droits d’auteur, ce article traduit n’est pas libre de droits. Veuillez contacter la Rédaction pour tout souhait de reproduction. – lien vers l’article original
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